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| 2015 01 La maladie du mensongePar Ly BlandsoLa maladie du mensonge Se mentir à soi-même, dire que tout va bien alors que tout va mal, voici l’histoire de ma vie. Mars 2010, moi, Joseph Garner, suis interné en psychiatrie. Cinq jours plus tard, me voici affublé du diagnostic de bipolaire de tipe I avec états mixtes. Bien longue expression pour dire que je perds les pédales. Trop haut, trop bas, les deux en même temps, tout un charabia que je ne comprends pas mais qui me définit. Le traitement est à vie me dit-on. Thymorégulateurs, anxiolytiques, antipsychotiques… mais surtout pas d’antidépresseurs. J’étais plein de vie, j’aimais la musique, la danse, jouer du piano sans partition, lire, écrire. Ecrire encore et encore. J’aimais les jolies filles, leur faire la cour, les allonger dans mon lit trop petit pour deux. Je fumais avec des amis en refaisant le monde sous le ciel étoilé. Mais il paraît que, tout ça, c’était « trop ». Depuis les médicaments, mon existence a changé. Il paraît que c’est pour m’aider à trouver l’équilibre dans cette nouvelle vie qui s’offre à moi. Comprenez par-là que sans médicament, je risque de me suicider avant mon quarantième anniversaire, et que c’est donc une chance que d’espérer vivre au-delà. Alors je m’adapte. Je prends mes cachets le matin, le midi parfois, et le soir. J’avale en tout onze cachets par jours, mais je m’y suis fait. Je vois mon psychiatre tous les quinze jours, ma psychothérapeute toutes les semaines. On m’a dit qu’il fallait que j’aie une hygiène de vie impeccable, couchers et levers réguliers, nourriture saine, rythme horaire immuable, bref, une vie plate sans excès pour éviter de perdre à nouveau les pédales. Alors j’ai fait ce qu’on me demandait. J’ai trouvé une gentille fiancée, nous nous sommes mariés, nous avons eu des enfants dont elle s’est occupée plus que moi. Ma vie était parfaite, la vie rêvée de beaucoup de personnes. Je travaillais à mitemps en qualité de chargé de communication dans une association culturelle. On ne me demandait pas de dessiner, simplement de « créer » des supports de communications selon certains modèles déjà existants, en utilisant les images d’internet non copyrightées. Mes activités extérieures me direz-vous ? Je faisait du judo une fois par semaine, avec interdiction de compétition car cela pouvait être « trop ». Les week-ends nous allions voir mes parents ou mes beaux-parents, ou le reste de la famille, et sans cesse ces mêmes questions de leur part : « Comment vas-tu en ce moment ? Tu gères ? Et tes médicaments, ils ne te cassent pas trop ? » Non, tout va bien, ne vous inquiétez pas, je suis calme, reposé, je « gère » comme vous dites, je n’oublie aucun de mes petits cachets, la vie est belle, mais plate. Ces deux derniers mots, je ne les prononce bien sûr pas devant eux, seul mon psychiatre est au courant. Ce psychiatre qui m’a diagnostiqué il y a quinze ans maintenant, en clinique. J’ai désormais 40 ans. Et mon psychiatre m’annonce qu’il prend sa retraite. Il n’a personne à me conseiller, à moi de chercher, mais vite, pour qu’il transmette mon dossier. Alors je cherche, et je trouve. Dr. Gouyanour, d’origine indienne. Il a bien reçu mon dossier et accepte de reprendre le suivi. J’ai peur de me lancer à l’eau, de lui dire tout ce que je ressens, cette oppression permanente et cet ennui quotidien. L’envie de rien, l’impossibilité de créer quoi que ce soit, l’anéantissement de l’écriture. Tout cela n’est a priori pas marqué dans mon dossier puisqu’il fait l’étonné quand enfin je me livre. Quand j’ai fini de tout déballer, de lui dire que ma vie d’avant était bien mieux et que non, je ne veux pas entendre parler de cette chance de vivre une vie dite « normale », il se fait un silence royal. Je ne sais pas s’il ne m’a pas écouté ou s’il réfléchit. La réponse dans une minute. Le voilà qui s’installe dans son fauteuil, pose les mains sur les accoudoirs, prend une grande inspiration, et allume en moi une lumière par ces quelques mots : « Et si vous n’étiez pas bipolaire ? Je veux dire, la vie telle que vous me la décrivez n’est pas une vraie vie, vous n’avez pas d’exaltation, pas de remous, pas de fossés ni d’écueils. Et votre vie d’avant ne semblait pas plus dépravée que ça, qu’est-ce qui a fait que vous avez « perdu les pédales », comme il est écrit dans votre dossier ? Et quel en était l’objet ? » Me voici estomaqué. J’ai beau réfléchir, je ne me rappelle plus ce qui m’a fait perdre les pédales ni l’objet de ce plomb qui a sauté dans ma tête. J’ai beau creuser, je ne me souviens pas de passage à l’acte, ni d’idées morbides dangereuses pour moi, ni de comportement à risque. Certes, le soir où j’ai atterri aux urgences psychiatriques de l’hôpital, j’avais un peu trop fumé suite à une soirée sensé fêter mon retour au célibat. Qu’ais-je pu dire ou faire pour en arriver là ? Je n’ai plus de contact avec mes amis de l’époque et serait bien incapable de les retrouver pour leur poser la question. Seuls mes parents me soutiennent que si, j’avais perdu les pédales. Comment, pourquoi, quand, impossible de leur faire dire. Avec le soutien de mon nouveau psychiatre, je décide d’arrêter les médicaments. Petit à petit, les doses diminuent. Petit à petit, je sens en moi une poussée de chaleur et de créativité revenir. Je réalise soudain que la femme que je me suis choisit est parfaite, elle s’adapte, elle chantonne, elle revit elle aussi. Les enfants le sentent et viennent me demander de jouer avec eux. Les seuls à faire la tête, ce sont mes parents. Je redécouvre la vie, mes sens, l’air frais sur mes joues, je pleure à nouveau alors que j’en étais devenu incapable. Je me sens enfin libre, libre de vivre ma vie sans mensonge.... |