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| 2015 02 Prolonger le songePar Françoise GorisseProlonger le songe Madeleine rassembla les brouillards de sa nuit, les brouillards de ses jours. C’était l’anniversaire aujourd’hui ! Il ne fallait pas tarder. Elle se leva, frissonna en entrant dans la vaste cuisine. Pourquoi François n’avait-il donc pas mis en route la lourde cuisinière en fonte, ni préparé le café ? Trop impatient de partir à la pêche avec Paul, il aura oublié. Elle extirpa des bûches dans la réserve, alluma le feu. Pendant que le café à la chicorée passait, elle inspecta la pièce. Tout était-il en ordre pour ce jour différent ? Les tomates épépinées la veille dégorgeaient leur eau sur la paillasse blanche de l’évier. Le gâteau au chocolat retourné sur sa grille semblait moelleux à souhait. De l’éphéméride accrochée au mur, elle arracha la page de la veille. 25 Septembre aujourd’hui, une citation de Robert Mallet : « Quand le bonheur n’est plus rien qu’un mensonge, on veut dormir la vie et prolonger le songe ? » Elle la lut distraitement mais reçut un coup de poignard au coeur. Elle n’aurait pas dû lire ces lettres trouvées dans un tiroir secret, adressées Poste restante à François par des inconnues. Ne pas penser. Le carillon de merisier au lourd balancier de laiton s’était arrêté. Elle ouvrit la porte vitrée, tourna la clé dorée. Remonter le temps. Elle hésita devant le grand miroir mural, effleura son reflet de petite femme aux cheveux gris illuminés par une étonnante mèche blanche, posa les yeux sur la photo encadrée de noir encastrée dans le cadre. Deux hommes souriants se tenant par l’épaule, des cannes à la pêche à la main. Son mari, son fils, ses deux amours qui ne vieilliraient jamais. François, si fier de son élégante moustache et Paul qui avait hérité des yeux bleus de son père. Se permettre quelques instants de répit. Assise, dos au fourneau qui ronronnait, elle but son café ses deux mains enserrant son bol de faïence. Tout était léger avec François. Représentant en vins de Bourgogne il parcourait la France. Au début de leur mariage, elle l’accompagnait avec de grands bonheurs au coeur et les rires de leur jeunesse. Trouver des bougies pour le gâteau. Elle fouilla les tiroirs du petit placard blanc ont s’exhalaient des parfums de chocolat, de vanille et de fleur d’oranger. Cueillir du persil pour les tomates farcies. Elle enfila ses sabots de bois, sur ses chaussons. La rosée du matin lui effleura les chevilles. La planche de bois creusée au centre par les oscillations du hachoir aux deux poignées de buis avait gardé une teinte verdâtre. Odeur, couleur du vert persil tacheté d’ail blanc. Les balancements du carillon rythmèrent les balancements du hachoir. On frappa à la porte. Maria, ronde et joviale se souciait de sa voisine solitaire que son mari aidait pour le jardin. « Bonjour madame Madeleine ! Mais… Vous attendez du monde ? » « C’est l’anniversaire aujourd’hui. J’ai préparé un bon repas, les plats qu’ils aiment. » « Mais c’est celui de l’accident, de la noyade… » « Vous mentez ! Ce ne sont que les racontars du village. La Saône ne sera pas en crue aujourd’hui. Le ponton sera solide. Ils rentreront affamés de la pêche. Vous pourriez m’apporter des bougies ? » Maria penaude battit en retraite sans oser dire qu’il aurait mieux valu des cierges. Madeleine haussa les épaules. Farcir les tomates. Mettre le couvert. Sur la table ronde recouverte d’une toile cirée fleurie, elle disposa trois assiettes, trois verres, trois serviettes en nylon. Paul était né. François lui avait laissé le soin de leur fils, de la maison, du jardin. Il s’absentait de plus en plus souvent. Elle n’avait rien voulu entendre de ce que susurraient les perfides commères du village sur la jolie boulangère. Descendre à la cave chercher du vin. Elle remonta une bonne bouteille de vieux Bourgogne. Tout était prêt pour leur retour. Elle troqua son tablier de cuisine contre celui plus léger de l’après-midi. Elle s’assit sur sa chaise à sa place habituelle, dos au fourneau. Ils rentreront pour el souper, heureux, boueux. Ils riront de leur maigre butin : une ablette et deux gougeons. Son François aura la moustache humide de bruine. Paul s’ébrouera de joie. Tout sera parfait, comme leur amour, leur couple. Que du bonheur… Madeleine ramassa quelques miettes de pain imaginaires sur la toile cirée. Elle posa ses mains croisées dans le creux de son tablier. Le carillon égrena ses heures. Le temps n’avait pas plus de saveur que d’importance. Elle seule détenait sa vérité. Le monde extérieur n’était que mensonge. |