Il y a actuellement 64 visiteurs connectés.
 
Ce site a reçu 4730116 visites depuis sa création.									
|  Sur cette page vous trouverez une sélection d'œuvres littéraires.
 | 
| 2015 05 Un jour pas comme les autresPar Pascale MenneloueUn jour pas comme les autres Le réveil sonne. Tu es seul dans ton lit. Aucun amour n'est venu cette nuit froisser tes draps fleuris. Tu tends ta main sur l'oreiller, tu fais comme si. Tu rêves un bref instant à des bras protecteurs, à des caresses enjôleuses. Tu as trente-cinq ans à peine. Tu te lèves. Tu enfiles ta robe de chambre aux reflets contrastés. Elle laisse deviner tes cuisses musclées, tes jolies fesses rondes qui séduisent tant tes amants. Tu déjeunes sans te hâter. Tu as le temps. Tu savoures avec gourmandise ce moment de la journée où tu oublies qui tu es. Le miroir te rassure. L'ovale de ton visage est parfait, le nez ni trop long ni trop court, tes yeux en amande d'un vert aux mille éclats dorés sont ravageurs et tu le sais. Tu approches ton visage pour mieux le voir encore. Aucun point noir ni petite rougeur ne viennent trahir ta peau bien lisse. Tu en prends soin comme peu de femmes le font : esthéticienne deux fois par semaine au moins. Tu aimes la perfection. Tu verses l'eau micellaire sur une boule de coton rose, tu en aimes l'odeur de foin, elle te rappelle tes vacances à la ferme quand tu étais enfant. Pour rien au monde tu t'en passerais. Puis tu appliques la crème et le fond de teint, couverture indispensable et trompeuse sur ton visage. Tu passes encore un grand moment à allonger et recourber tes cils puis tu viens caresser avec le bâton de rouge tes lèvres pour les rendre pulpeuses. Puis tu t'habilles avec soin. Tu prends le temps de choisir les couleurs, jamais de pantalon et surtout de jolis talons aiguille malgré ton mètre quatre-vingt. Tu coiffes de tes longs doigts fins aux ongles nacrés, tes cheveux en une géométrie trompeuse. Tu as de la chance, ta chevelure est épaisse et se pose sur tes épaules en grosses boucles blondes comme au temps de ton enfance quand on t'appelait Rémi. Tu jettes un dernier coup d'oeil dans le miroir du salon. Tu es prête, tu peux sortir mais l'angoisse t'envahit, le doute aussi. Tu as peur de la foule et de son regard impitoyable. Des milliers d'yeux te croisent sans te voir, des centaines te dévisagent c'est sûr, quelques-uns s'étonnent, se retournent sur ton passage. Ceux-là devinent que tu mens et ça te fait mal. Et tu marches ainsi à travers les rues de Montparnasse. Tu marches d'un pas mal assuré, tes pieds trop serrés sur des talons trop hauts. Ta longue silhouette se détache parmi le flot des passants. Tu as les larmes au coin des yeux. Chaque pas que tu fais est un mensonge que tu voudrais enterrer, ensevelir sous la terre, sous le goudron. Mais le mensonge te permet de vivre ou plutôt de survivre depuis si longtemps. Tu respires un grand coup car aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. Dans ton sac à main de cuir rouge est enfermée une petite enveloppe dans laquelle est noté ton rendez-vous, un rendezvous réparateur, un rendez-vous qui fera de toi un autre. Une Autre. Tu presses le pas. Tu ne veux pas être en retard. Tu attends ce rendez-vous depuis si longtemps, bien avant que ta voix ressemble à celle de ton père. Bientôt, tu n'auras plus à mentir. Plus de souffrances, plus de cachotteries. Tu sens en toi des petits éclats de lumière, de bonheur. Dans quelques heures, tu vas naître enfin. |