L’ange du soir
L’inconnue avait bien fière allure auprès de mon parterre
Où fleurissaient narcisses et primevères,
Enveloppée dans un long manteau noir
La protégeant du froid du soir
Et d’une écharpe rouge qui sublimait le noir
De ses cheveux et sa pâle beauté.
« Comme Bruant au temps passé
Sur son affiche », ai-je pensé
En la voyant ; moi, j’étais déjà tout à ses pieds !
Genou au sol- comme une supplique !- pour mieux ôter
Ce qui ne devait pas y pousser ;
Près d’elle, j’avais bien pauvre allure, boueux, crotté
Botté, les mains terreuses, en tablier !
Merveilleuse apparition !
Qui n’était pas sans intention
Car la belle dame, brûlée comme Paul d’une ardeur
Prosélyte, émue sans doute par l’énergie dernière
Que je mettais à faire éclore de terre
L’éphémère beauté des fleurs,
Voulait me révéler l’éternelle Beauté
Des Saintes Ecritures, ou à ma Foi insuffler
Une chaleur nouvelle si les frimas de ma vie
L’avaient par trop refroidie.
« Ma Foi déplace les montagnes, ose ! » s’est dit
En me voyant le bel apôtre de Jésus Christ
Car j’avais l’air assurément d’un humble jardinier
Où la Parole semée
Pouvait germer.
Surpris, n’attendant guère
Un tel apostolat auprès de mes primevères,
Je l’ai d’abord de son intention remerciée
Puis lui ai confessé que je ne l’avais plus
-Depuis longtemps perdue-
Et que je ne comptais pas tantôt la retrouver.
Sans s’émouvoir, elle a encore tenté
De me convaincre, disant que la Terre était belle, les fleurs
Les oiseaux…. l’œuvre du Créateur
Dans son immense Bonté. Je lui ai dit qu’assurément
Les fleurs étaient pour tous un enchantement
Mais que chiendent et mauvaises herbes continument
Poussaient aussi, et que la terre hélas !
Etait pour moi toujours plus basse.
Elle m’a dit bien des choses encore
Sur sa Religion, là, dehors,
Dans l’air du soir
Toute belle en rouge et noir,
Sans toutefois jamais évoquer
Des sujets qui nous auraient fâchés
-La damnation, la rédemption, le péché-
Mais seulement l’Amour et la Beauté.
Bien étrange conversation
Ayant pour seuls témoins deux-trois oiseaux, un papillon
Quelques abeilles, mes fleurs, mais que dans d’autres conditions
Nous aurions pu, amis, avoir
Assis au coin d’un feu, chez l’un ou l’autre, un soir.
Nous la continuâmes pourtant
Quelques instants encore courtoisement,
Sans passion. Elle cherchait une âme à sauver
Ou à aider, à qui montrer le Ciel, donner
Un peu d’amour, celui qui lui gonflait le cœur,
Celui qu’elle portait à son Seigneur.
Elle ne l’a trouva pas ; alors déçue ou attristée
Devant mon âme irrémédiablement athée
Et la fraîcheur tombant du ciel très pur, après un au-revoir
Elle me quitta : bonsoir.
Regret ; du regard un bref instant je l’ai suivie
Se fondant en rouge et noir dans l’ombre naissante de la nuit :
La belle inconnue s’en fut
Comme elle était venue.
Devant mes fleurs j’ai jardiné encore un peu
Le cœur empli de joie, heureux
Qu’un si bel Ange du soir
Soit gentiment passé me voir.