Le combat (extraits)
« ….Mais il en resta trois.
Trois vaisseaux de haut bord combattre une frégate !
Est-ce l’art d’un marin ? le trait d’un amiral ?
Un écumeur des mers, un forban, un pirate,
N’eût pas agi si mal !
N’importe ! elle bondit dans son repos troublée,
Elle tourna trois fois jetant vingt-quatre éclairs,
Et rendit tous les coups dont elle était criblée,
Feux pour feux, fers pour fers.
Ses boulets enchaînés fauchaient des mâts énormes,
Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron,
S’enfonçaient dans le bois, comme au cœur des grands ormes
Le coin du bûcheron.
Un brouillard de fumée où la flamme étincelle
L’entourait ; mais le corps brûlé, noir, écharpé,
Elle tournait, roulait, et se tordait sous elle,
Comme un serpent coupé.
Le soleil s’éclipsa dans l’air plein de bitume.
Ce jour entier passa dans le feu, dans le bruit ;
Et, lorsque la nuit vint, sous cette ardente brume
On ne vit pas la nuit.
Nous étions enfermés comme dans un orage :
Des deux flottes au loin le canon s’y mêlait ;
On tirait en aveugle à travers le nuage :
Toute la mer brûlait.
Mais quand le jour revint, chacun connut son œuvre.
Les trois vaisseaux flottaient démâtés et si las,
Qu’ils n’avaient plus de force assez pour la manœuvre.
Mais ma frégate, hélas !
Elle ne voulait plus obéir à son maître ;
Mutilée, impuissante, elle allait au hasard ;
Sans gouvernail, sans mât, on n’eût pu reconnaître
La merveille de l’art !
Engloutie à demi, son large pont à peine,
S’affaissant par degrés, se montrait sur les flots,
Et là ne restaient plus, avec moi capitaine,
Que douze matelots.
Je les fis mettre en mer à bord d’une chaloupe,
Hors de notre eau tournante et de son tourbillon,
Et je revins tout seul me coucher sur la poupe
Au pied du pavillon….. »
Les amants de Montmorency (extraits)
Elle allait en comptant les arbres du chemin,
Pour cueillir une fleur demeurait en arrière,
Puis revenait à lui, courant dans la poussière,
L’arrêtait par l’habit pour l’embrasser, posait
Un œillet sur sa tête, et chantait, et jasait
Sur les passants nombreux, sur la riche vallée
Comme un large tapis à ses pieds étalée ;
Beau tapis de velours chatoyant et changeant,
Semé de clochers d’or et de maisons d’argent,
Tout pareil aux jouets qu’aux enfants on achète
Et qu’au hasard pour eux par la chambre l’on jette.
Ainsi, pour lui complaire, on avait sous ses pieds
Répandu des bijoux brillants, multipliés,
En forme de troupeaux, de village aux toits roses
Ou bleus, d’arbres rangés, de fleurs sous l’onde écloses,
De murs blancs, de bosquets bien noirs, de lacs bien verts,
Et de chênes tordus, par la poitrine ouverts ;
Elle voyait ainsi tout préparé pour elle.
Enfant, elle jouait, en marchant, toute belle,
Toute blonde, amoureuse et fière ; et c’est ainsi
Qu’ils allèrent à pied jusqu’à Montmorency. »