Une grande dame
Belle « à damner les saints », à troubler sous l’aumusse
Un vieux juge ! Elle marche impérialement,
Elle parle- et ses dents font un miroitement-
Italien, avec un léger accent russe.
Ses yeux froids où l’émail sertit le bleu de Prusse
Ont l’éclat insolent et dur du diamant.
Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement
De la peau, nulle reine ou courtisane, fût-ce
Cléopâtre la lynce ou la chatte Ninon,
N’égale sa beauté patricienne, non !
Vois, ô bon Buridan : « C’est une grande dame ! »
Il faut- pas de milieu !- l’adorer à genoux,
Plat, n’ayant d’astre aux cieux que ses lourds cheveux roux,
Ou bien lui cravacher la face, à cette femme !
Sub urbe (extraits)
….Silencieux comme les fleuves,
Mais gros de pleurs comme eux de flots,
Les fils, les mères et les veuves,
Par les détours du triste enclos,
S’écoulent- lente théorie,-
Au rythme heurté des sanglots.
Le sol sous les pieds glisse et crie,
Là-haut de grands nuages tors
S’échevèlent avec furie.
Pénétrant comme le remord,
Tombe un froid lourd qui vous écoeure
Et qui doit filtrer chez les morts,
Chez les pauvres morts, à toute heure
Seuls, et sans cesse grelottants,
Qu’on les oublie ou qu’on les pleure !
Ah ! vienne le Printemps,
Et son clair soleil qui caresse,
Et ses doux oiseaux caquetants !
Refleurisse l’enchanteresse
Gloire des jardins et des champs
Que l’âpre hiver tient en détresse !
Et que- des levers aux couchants,-
L’or dilaté d’un ciel sans bornes
Berce de parfums et de chants,
Chers endormis, vos sommeils mornes !
Nevermore
Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice,
Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux ;
Brûle un encens ranci sur tes autels d’or faux ;
Sème de fleurs les bords béants du précipice ;
Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice !
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni ;
Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides ;
Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides ;
Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ;
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.
Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !
Car mon rêve impossible a pris corps et je l’ai
Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé
Voyageur qui de l’Homme évite les approches,
Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !
Le Bonheur a marché côte à côte avec moi ;
Mais la FATALITE ne connaît point de trêve ;
Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,
Et le remords est dans l’amour : telle est la loi.
Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.