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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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08 Poèmes saturniens

Par Verlaine Paul

La mort de Philippe II (extraits)

 

….Par les cours du palais, où l’ombre met ses plombs,

Circule- tortueux serpent hiératique-

Une procession de moines aux frocs blonds

 

Qui marchent un par un, suivant l’ordre ascétique,

Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,

Ululent d’une voix formidable un cantique.

 

Qui donc ici se meurt ? Pour qui sur le chemin

Cette paille épandue et ces croix long-voilées

Selon le rituel catholique romain ?

 

….Riches, les vêtements des seigneurs et des dames,

Velours, panne, satin, soie, hermine et brocart,

Chantent l’ode du luxe en chatoyantes gammes,

 

Et, trouant par éclairs distancés avec art

L’opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre

Des gardes alignés scintillent de trois quart.

 

Un homme en robe noir, à visage de cuivre,

Se penche, en caressant de la main ses fémurs,

Sur un lit, comme l’on se penche sur un livre.

 

…Dans le lit, un vieillard d’une maigreur insigne

Egrène un chapelet, qu’il baise par moment,

Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne.

 

Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,

Dernier signe de vie et premier d’agonie,

Et son haleine pue épouvantablement.

 

….C’est le Roi, ce mourant qu’assiste un mire chauve,

Le Roi Philippe Deux d’Espagne, -saluez !-

Et l’aigle autrichien s’effare dans l’alcôve,

 

….La porte s’ouvre. Un flot de lumière brutale

Jaillit soudain, déferle et bientôt s’établit

Par l’ampleur de la chambre en nappe horizontale ;

 

Porteurs de torches, roux, et que l’extase emplit,

Entrent dix capucins qui restent en prière :

Un d’entre eux se détache et marche droit au lit.

 

Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,

Et les élancements farouches de la Foi

Rayonnent à travers les cils de sa paupière ;

 

….Et tous sur son trajet dans un geste extatique

S’agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein

Car il porte avec lui le sacré Viatique.

 

Du lit s’écarte avec respect le matassin,

Le médecin du corps, en pareille occurrence,

Devant céder la place, Ame, à ton médecin.

 

La figure du Roi, qu’étire la souffrance,

A l’approche du fray se rassérène un peu,

Tant la religion est grosse d’espérance !

 

Le moine, cette fois, ouvrant son œil de feu,

Tout brillant de pardons mêlés à des reproches,

S’arrête, messager des justices de Dieu.

 

-Sinistrement dans l’air du soir tintent les cloches.

 

Et la Confession commence. Sur le flanc

Se retournant, le Roi, d’un ton sourd, bas et grêle,

Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang.

 

« Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle ?

Brûler des juifs, mais c’est une dilection !

Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle. »

 

Ayant repris haleine, et d’une voix cassée,

Péniblement, et comme arrachant par lambeaux

Un remord douloureux du fond de sa pensée,

 

Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux

Eclaire le visage osseux et le front blême,

Prononce ces mots : Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.

 

« Les Flamands, révoltés contre l’Eglise même,

Furent très justement punis, à votre los,

Et je m’étonne, ô Roi, de ce doute suprême,

 

Poursuivez. » Et le Roi parla de don Carlos,

Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue

Palpitante et collée affreusement à l’os.

 

« Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue.

L’Infant, certes, était coupable au dernier point,

Ayant voulu tirer l’Espagne dans la boue

 

De l’hérésie anglaise, et de plus n’ayant point

Frémi de conspirer- ô ruses abhorrées-

Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un Oint ! »

 

Le moine ensuite dit les formules sacrées

Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis,

Prenant l’Hostie avec ses deux mains timorées,

 

Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits

Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse,

Pria, muette et pâle, et nul n’a su depuis

 

Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.

Qui dira les pensers obscurs que protégea

Ce silence, brouillard complice qui se dresse ?

 

Ayant communié, le Roi se replongea

Dans l’ampleur des coussins, et la Béatitude

De l’Absolution reçue ouvrant déjà

 

L’œil de son âme au jour clair de la certitude,

Epanouit ses traits en un sourire exquis

Qui tenait de la fièvre et de la quiétude.

 

Et tandis qu’alentour ducs, comtes et marquis,

Pleins d’angoisse, fichaient leurs yeux sous la courtine,

L’âme du Roi montait, sereine, aux cieux conquis.

 

Puis le râle des morts hurla dans la poitrine

De l’auguste malade avec des sursauts fous :

Tel l’ouragan passe à travers une ruine.

 

Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous,

Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,

Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.

 

Philippe Deux était à la droite du Père.