| 07 Rêvé pour l'hiver...Par Rimbaud ArthurRêvé pour l’hiver
 L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
 Avec des coussins bleus.
 Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
 Dans chaque coin moelleux.
 
 Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
 Grimacer les ombres des soirs,
 Ces monstruosités hargneuses, populace
 De démons noirs et de loups noirs.
 
 Puis tu te sentiras la joue égratignée…
 Un petit baiser, comme une folle araignée,
 Te courra par le cou…
 
 Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
 -Et nous prendrons du temps à chercher cette bête
 Qui voyage beaucoup….
 
 
 Le dormeur du val
 
 C’est un trou de verdure où chante une rivière
 Accrochant follement aux herbes des haillons
 D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
 Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
 
 Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
 Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
 Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
 Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
 
 Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
 Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
 Nature, berce-le chaudement : il a froid.
 
 Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
 Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
 Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
 
 
 Au cabaret vert
 
 Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
 Aux cailloux du chemin. J’entrais à Charleroi.
 « Au Cabaret-Vert » : je demandai des tartines
 De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.
 
 Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
 Verte : je contemplai les sujets très naïfs
 De la tapisserie.-Et ce fut adorable,
 Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
 
 -Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure !-
 Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
 Du jambon tiède, dans un plat colorié,
 
 Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
 D’ail, et m’emplit la chope immense, avec une mousse
 Que dorait un rayon de soleil arriéré.
 
 
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