08 A Sinope....Par Ronsard Pierre de A Sinope
L’an se rajeunissait en sa verte jouvence,
Quand je m’épris de vous, ma Sinope cruelle :
Seize ans était la fleur de votre âge nouvelle,
Et votre teint sentait encore son enfance.
Vous aviez d’une infante encor la contenance,
La parole et les pas : votre bouche était belle,
Votre front et vos mains dignes d’une Immortelle,
Et votre œil qui me fait trépasser quand j’y pense.
Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit,
Dans un marbre, en mon cœur d’un trait les écrivit :
Et si pour le jour d’hui vos beautés si parfaites
Ne sont comme autrefois, je n’en suis moins ravi :
Car je n’ai pas égard à cela que vous êtes,
Mais au doux souvenir des beautés que je vi.
Elégie au seigneur Lhuillier (extraits)
Comme on voit en septembre aux tonneaux Angevins
Bouillir en écumant la jeunesse des vins,
Qui chaude en son berceau à toute force gronde,
Et voudroit tout d’un coup sortir hors de sa bonde,
Ardente, impatiente, et n’a point de repos
DE s’enfler, d’écumer, de jaillir à gros flots,
Tant que le froid d’Hiver lui ait dompté sa force,
Rembarrant sa puissance ès prisons d’une écorce,
Ainsi la Poësie en la jeune saison
Bouillonne dans nos cœurs, qui n’a soin de raison,
Serve de l’appétit, et brusquement anime
D’un Poëte gaillard la fureur magnanime :
Il devient amoureux, il suit les grands Seigneurs ;
Il aime les faveurs, il cherche les honneurs,
Et plein de passions, en l’esprit ne repose
Que de nuit et de jour ardent il ne compose :
Soupçonneux, furieux, superbe et dédaigneux,
Et de lui seulement curieux et soigneux,
Se feignant quelque Dieu : tant la rage félonne
De son jeune désir son courage aiguillonne.
Mais quand trente-cinq ans ou quarante ont perdu
Le sang chaud qui étoit ès veines répandu,
Et que les cheveux blancs de peu à peu s’avancent,
Et que nos genoux froids à trembloter commencent,
Et que le front se ride en diverses façons,
Lors la Muse s’enfuit et nos belles chansons.
Pégase se tarit, et n’y a plus de trace
Qui nous puisse conduire au sommet de Parnasse,
Nos lauriers sont séchés, et le train de nos vers
Se présente à nos yeux boiteux et de travers :
Toujours quelque malheur en marchant les retarde,
Et comme par dépit la Muse les regarde.
Car l’âme leur défaut, la force et la grandeur
Que produisait le sang en sa première ardeur….
|