09 Discours des misères de ce tempsPar Ronsard Pierre de Discours des misères de ce temps (extraits)
A la reine Catherine de Médicis
….Las ! Madame, en ce temps que le cruel orage
Menace les Français d’un si piteux naufrage,
Que la grêle et la pluie et la fureur des cieux
Ont irrité la mer de vents séditieux,
Et que l’astre jumeau ne daigne plus reluire,
Prenez le gouvernail de ce pauvre navire,
Et, malgré la tempête et le cruel effort
De la mer et des vents, conduisez-le à bon port.
La France à jointes mains vous en prie et reprie,
Las ! qui sera bientôt et proie et moquerie
Des Princes étrangers, s’il ne vous plaît en bref
Par votre autorité apaiser son méchef.
Ha ! que diront là-bas, sous les tombes poudreuses,
De tant de vaillants rois les âmes généreuses.
Que dira Pharamond, Clodion et Clovis !
Nos Pépins, nos Martels, nos Charles, nos Loïs,
Qui de leur propre sang à tous périls de guerre
Ont acquis à leurs fils une si belle terre ?
Que diront tant de ducs, et tant d’hommes guerriers
Qui sont morts d’une plaie au combat les premiers,
Et pour la France ont souffert tant de labeurs extrêmes,
La voyant aujourd’hui détruire par soi-même ?
Ils se repentiront d’avoir tant travaillé,
Assailli, défendu, guerroyé, bataillé,
Pour un peuple mutin divisé de courage,
Qui perd en se jouant un si bel héritage,
Héritage opulent, que toi, peuple qui bois
La Tamise albionne, et toi, More qui vois
Tomber le chariot du soleil sur ta tête,
Et toi, race gothique aux armes toujours prête,
Qui sens la froide bise en tes cheveux venter,
Par armes n’avez su ni froisser ni dompter…..
….Ce monstre arme le fils contre son propre père,
Et le frère (Ô malheur !) arme contre son frère,
La sœur contre la sœur, et les cousins germains
Au sang de leurs cousins veulent tremper leurs mains ;
L’oncle hait son neveu, le serviteur son maître ;
La femme ne veut plus son mari reconnaître ;
Les enfants sans raison disputent de la foi,
Et tout à l’abandon va sans ordre et sans loi.
L’artisan par ce monstre a laissé sa boutique,
Le pasteur ses brebis, l’avocat sa pratique,
Sa nef le marinier, sa foire le marchand,
Et par lui le prud’homme est devenu méchant.
L’écolier se débauche, et de sa faulx tortue
Le laboureur façonne une dague pointue,
Une pique guerrière il fait de son rateau,
Et l’acier de son coutre il change en un couteau.
Morte est l’autorité ; chacun vit à sa guise ;
Au vice déréglé la licence est permise ;
Le désir, l’avarice et l’erreur insensé
Ont c’en dessus dessous le monde renversé.
On a fait des lieux saints une horrible voirie
Une grange, une étable et une porcherie,
Si bien que Dieu n’est sûr en sa propre maison.
Au ciel est revolée et Justice et Raison,
Et en leur place, hélas ! règne le brigandage,
La force, le harnois, le sang et le carnage.
Tout va de pis en pis ; le sujet a brisé
Le serment qu’il devait à son roi méprisé ;
Mars, enflé de faux zèle et de fausse apparence,
Ainsi qu’une furie agite notre France,
Qui, farouche à son prince, opiniâtre suit
L’erreur d’un étranger et folle se détruit…….
Continuation des discours des misères de ce temps (extraits)
A la reine Catherine de Médicis
Madame, je serais ou du plomb ou du bois,
Si moi que la nature a fait naître François,
Aux races à venir je ne contais la peine
Et l’extrême malheur dont notre France est pleine.
Je veux de siècle en siècle au monde publier
D’une plume de fer sur un papier d’acier,
Que ses propres enfants l’ont prise et dévêtue,
Et jusques à la mort vilainement battue….
…..De Bèze, je te prie, écoute ma parole,
Que tu estimeras d’une personne folle :
S’il te plaît toutefois de juger sainement,
Après m’avoir ouï tu diras autrement.
La terre qu’aujourd’hui tu remplis toute d’armes,
Et de nouveaux chrétiens déguisés en gendarmes…
…Ce n’est pas une terre allemande ou gothique
Ni une région tartare ni scythique,
C’est celle où tu naquis, qui douce te reçut ;
Celle qui t’a nourri et qui t’a fait apprendre
La science et les arts dès ta jeunesse tendre,
Pour lui faire service et pour en bien user,
Et non, comme tu fais, à fin d’en abuser….
…Retire tes soldats, et au lac Genevois,
Comme chose exécrable, enfonce leur harnois.
Ne prêche plus en France une Evangile armée,
Un Christ empistolé tout noirci de fumée,
Qui comme un Méhémet va portant dans la main
Un large coutelas rouge de sang humain….
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