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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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02 Le donneur de mauvais conseils.....

Par Verhaeren Emile

04 Le donneur de mauvais conseils (extraits)
 
Par les chemins bordés de pueils
Rôde en maraude
Le donneur de mauvais conseils.
 
La vieille carriole aux tons groseille
Qui l’emmena, on ne sait d’où,
Une folle la garde et la surveille,
Au carrefour des chemins mous.
Le cheval paît l’herbe d’automne,
Près d’une mare monotone,
Dont l’eau livide réverbère
Le ciel de pluie et de misère
Qui tombe en loques sur la terre.
 
Le donneur de mauvais conseils
Est attendu dans le village,
A l’heure où tombe le soleil.
 
Il est le visiteur oblique et louche
Qui, de ferme en ferme, s’abouche,
Quand la détresse et la ruine
Se rabattent sur les chaumines.
Il est celui qui frappe à l’huis,
Tenacement, et vient s’asseoir
Lorsque le hâve désespoir
Fixe ses regards droits
Sur le feu mort des âtres froids.
 
Il vaticine et il marmonne,
Toujours ardent et monotone,
Prenant à part chacun de ceux
Dont les arpents sont cancéreux
Et les épargnes infécondes
Et les poussant à tout quitter,
Pour un peu d’or qu’ils entendent tinter
En les villes, là-bas, au bout du monde.
 
A qui, devant sa lampe éteinte,
Seul avec soi, quand minuit tinte,
S’en va tâtant aux murs de sa chaumière
Les trous qu’y font les vers de la misère,
Sans qu’un secours ne lui vienne jamais,
Il conseille d’aller, au fond de l’eau,
Mordre soudain les exsangues reflets
De sa face dans un marais.
 
Il pousse au mal la fille ardente,
Avec du crime au bout des doigts,
Avec des yeux comme la poix
Et des regards qui violentent.
Il attise en son cœur le vice
A mots cuisants et rouges,
Pour qu’en elle la femelle et la gouge
Biffent la mère et la nourrice
Et que sa chair soit aux amants,
Morte, comme ossements et pierres,
Au cimetière.
 
…Et pour conclure il verse à tous
Un peu du fiel de son vieux cœur
Pourri de haine et de rancœur ;
Et désigne le rendez-vous,
-Quand ils voudront- au coin des bordes,
Où, près de l’arbre, ils trouveront
Pour se brancher un bout de corde.
 
Ainsi va-t-il de ferme en ferme ;
Plus volontiers, lorsque le terme
Au bahut vide inscrit sa date,
Le corps craquant comme des lattes,
Le cou maigre, le pas traînant,
Mais inusable et permanent,
Avec sa pauvre carriole,
Avec sa bête, avec sa folle,
Qui l’attendent, jusqu’au matin,
Au carrefour des vieux chemins.
 
05 Chanson de fou
 
Je les ai vus, je les ai vus,
Ils passaient, par les sentes,
Avec leurs yeux, comme des fentes,
Et leurs barbes, comme du chanvre.
 
Deux bras de paille,
Un dos de foin,
Blessés, troués, disjoints,
Ils s’en venaient des loins,
Comme d’une bataille.
 
Un chapeau mou sur leur oreille,
Un habit vert comme l’oseille ;
Ils étaient deux, ils étaient trois,
J’en ai vu dix, qui revenaient du bois.
 
L’un deux a pris mon âme
Et mon âme comme une cloche
Vibre en sa poche.
L’autre a pris ma peau
-Ne le dites à personne-
Ma peau de vieux tambour
Qui sonne.
 
Un paysan est survenu
Qui nous piqua dans le sol nu,
Eux tous et moi, vieilles défroques,
Dont les enfants se moquent.
 
06 Pèlerinage (extraits)
 
Où sont les vieux paysans noirs
Par les chemins en or des soirs ?
 
A grands coups d’ailes affolées,
En leurs toujours folles volées,
Les moulins fous fauchent le vent.
 
…Par la campagne en grand deuil d’or,
Où sont les vieux silencieux ?
 
Quelqu’un a dû frapper l’été
De mauvaise fécondité :
Le blé haut ne fut que paille,
 
Les bonnes eaux n’ont point coulé
Par les veines du champ brûlé ;
Quelqu’un a dû frapper les sources ;
 
Quelqu’un a dû sécher la vie,
Comme une gorge inassouvie
Vide d’un trait le fond d’un verre.
 
Par la campagne en grand deuil d’or,
Où sont les vieux et leur misère ?
 
….Le Satan noir des champs brûlés
Et des fermiers ensorcelés
Qui font des croix de la main gauche,
 
Ce soir, à l’heure où l’horizon est rouge
Contre un arbre dont rien ne bouge,
Depuis une heure est accoudé.
 
Les vieux ont pu l’apercevoir,
Avec ses yeux dardés vers eux,
D’entre ses cils de chardons morts.
 
Ils ont senti qu’il écoutait
Les silences de leur souhait
Et leur prière uniquement pensée.
 
….La bête est morte atrocement,
Pendant qu’au long des champs muets,
Sous le gel rude et le vent froid,
Chacun, par un chemin à soi,
Sans rien savoir s’en revenait.