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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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03 Chanson de fou.....

Par Verhaeren Emile

07 Chanson de fou (extraits)
 
Brisez-leur pattes et vertèbres,
Chassez les rats, les rats.
Et puis versez du froment noir,
Le soir,
Dans les ténèbres.
 
Jadis, lorsque mon cœur cassa,
Une femme le ramassa
Pour le donner aux rats.
 
Brisez-leur pattes et vertèbres.
 
L’un deux, je l’ai senti
Grimper sur moi la nuit,
Et mordre encor le fond du trou
Que fit, dans ma poitrine,
L’arrachement de mon cœur fou.
 
Brisez-leur pattes et vertèbres.
 
Ma tête à moi les vents y passent,
Les vents qui passent sous la porte,
Et les rats noirs de haut en bas
Peuplent ma tête morte….
 
08 Les fièvres (extraits)
 
….Sous leurs torchis qui se lézardent,
Les chaumières, là-bas, regardent
Comme des bêtes qui ont peur,
Et seuls les grands oiseaux d’espace
Jettent sur les enclos sans fleurs
Le cri des angoisses qui passent.
 
L’heure est venue où les soirs mous
Pèsent sur les terres gangrenées,
Où les marais visqueux et blancs,
Dans leurs remous,
A longs bras lents,
Brassent les fièvres empoisonnées.
 
…Des crapauds noirs, à fleur de boue,
Gonflent leur peau que deux yeux trouent…
 
…De la vase profonde et jaune
D’où s’érigent, longues d’une aune,
Les herbes d’eaux,
Des brouillards lents comme des traînes
Déplient leur flottement, parmi les draines ;
On les peut suivre, à travers champs,
Vers les chaumes et les murs blancs ;
Leurs fils subtils de pestilence
Tissent la robe de silence,
Gaze verte, tulle blême,
Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène,
 
La fièvre,
Elle est celle qui marche,
Sournoisement, courbée en arche,
Et personne n’entend son pas.
Si la poterne des fermes ne s’ouvre pas,
Si la fenêtre est close,
Elle pénètre quand même et se repose,
Sur la chaise des vieux que les ans ploient,
Dans les berceaux où les petits larmoient
Et quelquefois elle se couche
Aux lits profonds où l’on fait souche.
 
Avec ses vieilles mains dans l’âtre encor rougeâtres,
Elle attise les maladies
Non éteintes, mais engourdies ;
Elle se mêle au pain qu’on mange,
A l’eau morne changée en fange ;
Elle monte jusqu’aux greniers,
Dort dans les sacs et les paniers
Où s’entassent mille loques à vendre ;
Puis, un matin, de palier en palier
On écoute son pas sinistre et régulier
Descendre.
 
Inutiles, vœux et pèlerinages
Et seins où l’on abrite les petits
Et bras en croix vers les images
Des bons anges et des vieux Christs.
Le mal hâve s’est installé dans la demeure.
Il vient, chaque vesprée, à tel moment,
Déchiqueter la plainte et le tourment,
Au régulier tic-tac de l’heure ;
Et l’horloge surgit déjà
Comme quelqu’un qui sonnera,
Lorsque viendra l’instant de la raison finie,
L’agonie.
 
En attendant, les mois se passent à languir.
Les malades rapetissés,
Leurs genoux lourds, leurs bras cassés,
Avec, en main, leurs chapelets,
Quittant leur lit, s’y recouchant,
Fuyant la mort et la cherchant,
Bégaient et vacillent leurs plaintes,
Pauvres lumières, presque éteintes.
 
Ils se traînent de chaumière en chaumière
Et d’âtre en âtre,
Se voir et doucement s’apitoyer,
Sur la dîme d’hommes qu’il faut payer,
Atrocement, à leur terre marâtre ;
Des silences profonds coupent les litanies
De leurs misères infinies ;
Et quelquefois, ils se regardent
Au jour douteux de la fenêtre,
Sans rien se dire, avec des pleurs,
Comme s’ils voulaient se reconnaître
Lorsque leurs yeux seront ailleurs.
 
Ils se sentent de trop autour des tables
Où l’on mange rapidement
Un repas pauvre et lamentable ;
Leur cœur se serre, atrocement,
On les isole et les bêtes les flairent
Et les jurons et les colères
Volent autour de leur tourment.
 
Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas,
Ils s’agitent entre leurs draps,
Songeant qu’aux alentours, de village en village,
Les brouillards blancs sont en voyage,
Voudraient-ils ouvrir la porte
Pour que d’un coup la fièvre les emporte,
Vers les marais des landes
Où les mousses et les herbes s’étendent
Comme un tissu pourri de muscles et de glandes
Où s’écoute, comme un hoquet,
Un flot pâteux miner la rive,
Où leur corps mort, comme un paquet,
Choirait dans l’eau de bile et de salive…..
 
09 Le péché
 
Sur sa butte que le vent gifle,
Il tourne et fauche et ronfle et siffle,
Le vieux moulin des péchés vieux
Et des forfaits astucieux.
 
Il geint des pieds jusqu’à la tête,
Sur fond d’orage et de tempête,
Lorsque l’automne et les nuages
Frôlent son toit de leurs voyages.
 
Sur la campagne abandonnée
Il apparaît une araignée
Colossale, tissant ses toiles
Jusqu’aux étoiles.
 
C’est le moulin des vieux péchés.
Qui l’écoute, parmi les routes,
Entend battre le cœur du diable,
Dans sa carcasse insatiable.
 
Un travail d’ombre et de ténèbres
S’y fait, pendant les nuits funèbres
Quand la lune fendue
Gît là, sur le carreau de l’eau,
Comme une hostie atrocement mordue.
 
C’est le moulin de la ruine
Quii moud le mal et le répand aux champs
Infini, comme une bruine.
 
Ceux qui sournoisement écornent
Le champ voisin en déplaçant les bornes ;
Ceux qui, valets d’autrui, sèment l’ivraie
Au lieu de l’orge vraie ;
Ceux qui jettent les poisons verts dans l’eau
Où l’on amène le troupeau ;
Ceux qui, par les nuits seules,
En brasiers d’or font éclater les meules,
Tous passèrent par le moulin.
 
Encore :
 
Les vieux jeteurs de sorts et les sorcières
Que vont trouver les filles-mères ;
Ceux qui cachent dans les fourrés
Leurs ruts sinistrement vociférés ;
Ceux qui n’aiment la chair que si le sang
Gicle aux yeux, frais et luisant ;
Ceux qui s’entr’égorgent, à couteaux rouges,
Volets fermés, au fond des bouges :
Ceux qui scrutent l’espace
Avec, au bout du poing, la mort pour tel qui passe,
Tous passèrent par le moulin.
 
Aussi :
 
Les vagabonds qui habitent des fosses
Avec leurs filles qu’ils engrossent ;
Les fous qui choisissent des bêtes
Pour assouvir leur rage et ses tempêtes ;
Les mendiants qui déterrent les mortes
Atrocement et les emportent ;
Les couples noirs, pervers et vieux,
Qui instruisent l’enfant à coucher entre eux deux ;
Tous passèrent par le moulin.
 
Tous sont venus, sournoisement,
Choisissant l’heure et le moment,
Avec leurs chiens et leurs brouettes,
Et leurs ânes et leurs charrettes ;
Tous sont venus, jeunes et vieux,
Pour emporter jusque chez eux
Le mauvais grain, coûte que coûte ;
Et quand ils sont redescendus
Par les sentes du haut talus,
Les grand’routes charriaient toutes
Infiniment, comme des veines,
Le sang du mal, parmi les plaines.
 
Et le moulin tournait au fond des soirs
La grande croix de ses bras noirs,
Avec des feux, comme des yeux,
Dans l’orbite de ses lucarnes
Dont les rayons gagnaient les loins.
Parfois s’illuminaient des coins,
Là-bas, dans la campagne morne,
Et l’on voyait les porteurs gourds,
Ployant au faix des péchés lourds,
Hagards et las, buter de borne en borne.