03 Elégie XVI
Qui eust pensé que l’on peust concevoir
Tant de plaisir pour lettres recevoir ?
Qui eust cuydé le désir d’un cueur franc
Estre caché dessoubz un papier blanc ?
Et comment peut un œil au cueur eslire
Tant de confort par une lettre lire ?
Certainement, dame très honorée,
J’ay leu des sainctz la Légende dorée,
J’ay leu Alain, le très noble orateur,
Et Lancelot, le très plaisant menteur ;
J’ay leu aussi le Romant de la Rose,
Maistre en amours, et Valère, et Orose,
Comptant les faicts des antiques Rommains ;
Bref, en mon temps, j’ay leu des livres maintz,
Mais en nulz d’eux n’ay trouvé le plaisir
Que j’ay bien sceu en voz lettres choisir ;
J’y ay trouvé un langage bénin
Rien ne tenant du stile fémenin ;
J’y ay trouvé suite de bons propos,
Avec un mot qui m’a mis en repos
Mon cueur estant travaillé de tristesse,
Quand me souffrez vous nommer ma maistresse.
Dieu nous doint donc, ma maistresse très belle
(Puisqu’il vous plaist qu’ainsi je vous appelle),
Dieu nous doint donc amoureux appétit
De bien traicter vostre servant petit.
04 Chant de may et de vertu
Voulentiers en ce moys icy
La terre mue et renouvelle.
Maintz amoureux en font ainsi,
Subjectz à faire amour nouvelle
Par légièreté de cervelle,
Ou pour estre ailleurs plus contens ;
Ma façon d’aymer n’est pas telle,
Mes amours durent en tout temps.
N’y a si belle dame aussi
De qui la beauté ne chancelle ;
Par temps, maladie ou soucy,
Laydeur les tire en sa nacelle ;
Mais rien ne peut enlaydir celle
Que servir sans fin je prétens ;
Et pource qu’elle est toujours belle
Mes amours durent en tout temps.
Celle dont je dy tout cecy,
C’est Vertu, la nymphe éternelle
Qui au mont d’honneur esclercy
Tous les vrays amoureux appelle :
« Venez, amans, venez (dit-elle),
Venez à moi, je vous attens ;
Venez (ce dit la jouvencelle),
Mes amours durent en tout temps. »
Prince, fais amye immortelle,
Et à la bien aymer entens ;
Lors pourras dire sans cautelle :
« Mes amours durent en tout temps. »