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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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Le testament (extraits)

Par Villon François

Le testament (extraits)
 
En l’an trentiesme de mon aage,
Que toutes mes hontes j’euz beues,
Ne du tout fol, ne du tout sage,
Non obstant maintes peines eues,
Lesquelles j’ay toutes receues
Soubz la main Thibault d’Aussigny…
S’évesque il est, seignant les rues,
Qu’il soit le mien je le regny !....
 
….Pour ce que foible je me sens,
Trop plus de biens que de santé,
Tant que je suis en mon plain sens,
Si peu que Dieu m’en a presté,
Car d’autre ne l’ay emprunté,
J’ay ce Testament très estable
Faict, de dernière volonté,
Seul pour tout et irrévocable.
 
Escript l’ay l’an soixante et ung,
Que le bon roy me délivra
De la dure prison de Mehun,
Et que vie me recouvra,
Dont suis, tant que mon cœur vivra,
Tenu vers lui m’humilier,
Ce que feray tant qu’il mourra :
Bienfait ne se doit oublier….
 
….Je plaings le temps de ma jeunesse,
(Ouquel j’ay plus qu’autre gallé,
Jusqu’à l’entrée de viellesse),
Qui son partement m’a celé.
Il ne s’en est à pié allé,
N’a cheval ; hélas ! comment don ?
Soudainement s’en est vollé,
Et ne m’a laissié quelque don.
 
Allé s’en est, et je demeure
Povre de sens et de savoir,
Triste, failly, plus noir que meure,
Qui n’ay n’escus, rente, n’avoir ;
Des miens le mendre, je dis voir,
De me désavouer s’avance,
Oubliant naturel devoir,
Par faulte d’ung peu de chevance….
 
….Hé Dieu ! se j’eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes meurs dédié,
J’eusse maison et couche molle !
Mais quoy ? Je fuyoie l’escolle,
Comme fait le mauvais enfant…
En escripvant ceste parolle,
A peu que le cuer ne me fent…..
 
….Où sont les gracieux gallans
Que je suivoye ou temps jadis,
Si bien chantans, si bien parlans,
Si plaisans en faiz et en diz ?
Les aucuns sont mors et roidiz ;
D’eulx n’est-il plus rien maintenant !
Repos aient en paradis
Et Dieu saulve le remenant !
 
Et les autres sont devenus
Dieu mercy ! grans seigneurs et maistres,
Les autres mendient tous nus
Et pain ne voient qu’aux fenestres,
Les autres sont entrés en cloistres
De Célestins et de Chartreux,
Botez, housez, com pescheurs d’oistres.
Voyez l’estat divers d’entre eux….
 
Je congnois que povres et riches,
Sages et folz, prestres et laiz,
Nobles, villains, larges et chiches,
Petiz et grans, et beaulx et laiz,
Dames à rebrassez colletz
De quelconque condicion,
Portans atours et bourrelez,
Mort saisit sans exception….
 
….Et meure Paris ou Hélaine,
Quiconques meurt, meurt à douleur
Telle qu’il pert vent et alaine ;
Son fiel se crève sur son cuer,
Puis sue, Dieu scet quel sueur !
Et n’est qui de ses maulx l’alège.
Car enfant n’a, frère ne seur,
Qui lors voulsist estre son plège.
 
La mort le fait frémir, pallir,
Le nez courber, les veines tendre,
Le col enfler, la chair mollir,
Joinctes et nerfs croistre et estendre.
Corps fémenin, qui tant es tendre,
Poly, souef, si précieux,
Te faudra-il ces maulx attendre ?
Oy, ou tout vif, aller ès cieulx.