01 Louis XVII (extraits)
En ce temps-là, du ciel les portes d’or s’ouvrirent ;
Du Saint des Saints ému les feux se découvrirent ;
Tous les cieux un moment brillèrent dévoilés ;
Et les élus voyaient, lumineuses phalanges,
Venir une jeune âme entre de jeunes anges
Sous les portiques étoilés.
C’était un bel enfant qui fuyait de la terre ;
Son œil bleu du malheur portait le signe austère ;
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants ;
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du martyre unissaient sur sa tête
La couronne des innocents.
On entendit des voix qui disaient dans la nue :
-« Jeune ange, Dieu sourit à ta gloire ingénue ;
Viens, rentre dans ses bras pour ne plus en sortir ;
Et vous, qui du Très-Haut racontez les louanges,
Séraphins, prophètes, archanges,
Courbez-vous, c’est un roi ; chantez, c’est un martyr ! »
-« Où donc ai-je régné ? demandait la jeune ombre.
Je suis un prisonnier, je ne suis point un roi.
Hier je m’endormis au fond d’une tour sombre.
Où donc ai-je régné ? Seigneur, dites-le-moi.
Hélas ! mon père est mort d’une mort bien amère :
Ses bourreaux, ô mon Dieu ! m’ont abreuvé de fiel !
Je suis un orphelin ; je viens chercher ma mère,
Qu’en mes rêves j’ai vue au ciel. »
Les anges répondaient :- « Ton sauveur te réclame.
Ton Dieu d’un monde impie a rappelé ton âme.
Fuis la terre insensée où l’on brise les croix,
Où jusque dans la mort descend le régicide,
Où le meurtre, d’horreurs avide,
Fouille dans les tombeaux pour y chercher des rois ! »……
02 Epitaphe (extraits)
….Passant, comme toi j’ai passé.
Le fleuve est revenu se perdre dans sa source.
Fais silence ; assieds-toi sur ce marbre brisé.
Pose un instant le poids qui fatigue ta course ;
J’eus de même un fardeau qu’ici j’ai déposé.
Si tu veux du repos, si tu cherches de l’ombre,
Ta couche est prête, accours ! loin du bruit on y dort.
Si ton fragile esquif lutte sur la mer sombre,
Viens, c’est ici l’écueil ; viens, c’est ici le port !
…..Ephémère histrion qui sait son rôle à peine,
Chaque homme, ivre d’audace ou palpitant d’effroi,
Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,
Vient passer à son tour son heure sur la scène.
Ne foule pas les morts d’un pied indifférent ;
Comme moi, dans leur ville il te faudra descendre ;
L’homme de jour en jour s’en va pâle et mourant ;
Et tu ne sais quel vent doit emporter ta cendre……
03 Un chant de fête de Néron (extraits)
Amis, l’ennuie nous tue, et le sage l’évite !
Venez tous admirer la fête où vous invite
Néron, César, consul pour la troisième fois ;
Néron, maître du monde et dieu de l’harmonie,
Qui, sur le mode d’Ionie,
Chante, en s’accompagnant de la lyre à dix voix !
Que mon joyeux appel sur l’heure vous rassemble !
Jamais vous n’aurez eu tant de plaisirs ensemble,
Chez Pallas l’affranchi, chez le Grec Agénor ;
Ni dans ces gais festins d’où s’exilait la gêne,
Où l’austère Sénèque, en louant Diogène,
Buvait le falerne dans l’or ;
Ni lorsque sur le Tibre, Aglaé, de Phalère,
Demi-nue, avec nous voguait dans sa galère,
Sous des tentes d’Asie aux brillantes couleurs ;
Ni quand, au son des luths, le préfet des Bataves
Jetait aux lions vingt esclaves,
Dont on avait caché les chaînes sous les fleurs !
Venez, Rome à vos yeux va brûler,- Rome entière !
J’ai fait sur cette tour apporter ma litière
Pour contempler la flamme en bravant ses torrents.
Que sont les vains combats des tigres et de l’homme ?
Les sept monts aujourd’hui sont un grand cirque, où Rome
Lutte avec les feux dévorants.
C’est ainsi qu’il convient au maître de la terre
De charmer son ennui profond et solitaire !
Il doit lancer parfois la foudre, comme un dieu !
Mais, venez, la nuit tombe et la fête commence.
Déjà l’incendie, hydre immense,
Lève son aile sombre et ses langues de feu.
Voyez-vous ? voyez-vous ? sur sa proie enflammée,
Il déroule en courant ses replis de fumée ;
Il semble caresser ces murs qui vont périr ;
Dans ses embrassements les palais s’évaporent….
-Oh ! que n’ai-je aussi, moi, des baisers qui dévorent,
Des caresses qui font mourir !
Ecoutez ces rumeurs, voyez ces vapeurs sombres,
Ces hommes dans les feux errant comme des ombres,
Ce silence de mort par degrés renaissant !
Les colonnes d’airain, les portes d’or s’écroulent !
Des fleuves de bronze qui roulent
Portent des flots de flamme au Tibre frémissant !
Tout périt ! jaspe, marbre, et porphyre, et statues,
Malgré leurs noms divins dans la cendre abattues,
Le fléau triomphant vole au gré de mes vœux,
Il va tout envahir dans sa course agrandie,
Et l’aquilon joyeux tourmente l’incendie,
Comme une tempête de feux.
Fier Capitole, adieu ! – Dans les feux qu’on excite,
L’aqueduc de Sylla semble un pont de Cocyte.
Néron le veut ; ces tours, ces dômes tomberont.
Bien ! sur Rome, à la fois, partout la flamme gronde !
- Rends-lui grâces, reine du monde ;
Vois quel beau diadème il attache à ton front !
….. Qu’un incendie est beau lorsque la nuit est noire !
Erostrate lui-même eût envié ma gloire.
D’un peuple à mes plaisirs qu’importent les douleurs ?
Il fuit ; de toutes parts le brasier l’environne.
Otez de mon front ma couronne,
Le feu qui brûle Rome en flétrirait les fleurs.
….Je punis cette Rome et je me venge d’elle ?
Ne poursuit-elle pas d’un encens infidèle
Tour à tour Jupiter et ce Christ odieux ?
Qu’enfin à leur niveau sa terreur me contemple !
Je veux avoir aussi mon temple,
Puisque ces vils Romains n’ont point assez de dieux !
J’ai détruit Rome, afin de la fonder plus belle.
Mais que sa chute au moins brise la croix rebelle !
Plus de chrétiens ! allez, exterminez-les tous !
Que Rome de ses maux punisse en eux les causes ;
Exterminez !....- Esclave ! apporte-moi des roses,
Le parfum des roses est doux !
04 Jéhovah (extraits)
Gloire à Dieu seul ! son nom rayonne en ses ouvrages.
Il porte dans sa main l’univers réuni ;
Il mit l’éternité par delà tous les âges,
Par delà tous les cieux il jeta l’infini.
Il a dit au chaos sa parole féconde,
Et d’un mot de sa voix laissé tomber le monde…..
…L’homme n’est rien sans lui, l’homme, débile proie,
Que le malheur dispute un moment au trépas.
Dieu lui donne le deuil ou lui reprend la joie.
Du berceau vers la tombe il a compté ses pas…..
05 Au vallon de Chérizy (extraits)
…..Heureux l’humble roseau qu’alors un prompt orage
En passant brise dans sa fleur !
Cet orage, ô vallon, le voyageur l’implore.
Déjà las de sa course, il est bien loin encore
Du terme où ses maux vont finir ;
Il voit devant ses pas, seul pour se soutenir,
Aux rayons nébuleux de sa funèbre aurore,
Le grand désert de l’avenir !
De dégoûts en dégoûts il va trainer sa vie.
Que lui font ces faux biens qu’un faux orgueil envie ?
Il cherche un cœur fidèle, ami de ses douleurs ;
Mais en vain ; nuls secours n’aplaniront sa voie,
Nul parmi les mortels ne rira de sa joie,
Nul ne pleurera de ses pleurs !
Son sort est l’abandon ; et sa vie isolée
Ressemble au noir cyprès qui croît dans la vallée.
Loin de lui, le lys vierge ouvre au jour son bouton ;
Et jamais, égayant son ombre malheureuse,
Une jeune vigne amoureuse
A ses sombres rameaux n’enlace un vert feston….