Napoléon II (extraits)
….Tous deux sont morts, Seigneur, votre droite est terrible !
Vous avez commencé par le maître invincible,
Par l’homme triomphant,
Puis vous avez enfin complété l’ossuaire ;
Dix ans vous ont suffi pour filer le suaire
Du père et de l’enfant !
Gloire, jeunesse, orgueil, biens que la tombe emporte !
L’homme voudrait laisser quelque chose à la porte,
Mais la mort lui dit non !
Chaque élément retourne où tout doit redescendre ;
L’air reprend la fumée, et la terre la cendre ;
L’oubli reprend le nom …..
A Canaris (extraits)
Canaris ! Canaris ! nous t’avons oublié !
Lorsque sur un héros le temps s’est replié,
Quand le sublime acteur a fait pleurer ou rire,
Et qu’il a dit le mot que Dieu lui donne à dire ;
Quand, venus au hasard des révolutions,
Les grands hommes ont fait leurs grandes actions,
Qu’ils ont jeté leur lustre, étincelant ou sombre,
Et qu’ils sont pas à pas redescendus dans l’ombre,
Leur nom s’éteint aussi. Tout est vain ! tout est vain !
Et jusqu’à ce qu’un jour le poète divin,
Qui peut créer un monde avec une parole,
Les prenne, et leur rallume au front une auréole,
Nul ne se souvient d’eux, et la foule aux cent voix
Qui rien qu’en les voyant hurlait d’aise autrefois,
Hélas ! si par hasard devant elle on les nomme,
Interroge et s’étonne, et dit : Quel est cet homme ?
Nous t’avons oublié. Ta gloire est dans la nuit.
Nous faisons bien encor toujours beaucoup de bruit ;
Mais plus de cris d’amour, plus de chants, plus de culte,
Plus d’acclamations pour toi dans ce tumulte !
Le bourgeois ne sait plus épeler ton grand nom.
Soleil qui t’es couché, tu n’as plus de Memnon !
Nous avons un instant crié : La Grèce ! Athènes !
Sparte ! Léonidas ! Botzaris ! Démosthènes !
Canaris, demi-dieu de gloire rayonnant !....
Puis l’entr’acte est venu, c’est bien ; et maintenant
Dans notre esprit, si plein de ton apothéose,
Nous avons tout rayé pour écrire autre chose.
Adieu les héros grecs ! leurs lauriers sont fanés !
Vers d’autres orients nos regards sont tournés………
Dans l’église de… (extraits)
C’était une humble église au cintre surbaissé
L’église où nous entrâmes
Où depuis trois cents ans avaient déjà passé
Et pleuré bien des âmes.
Elle était triste et calme à la chute du jour,
L’église où nous entrâmes ;
L’autel sans serviteur, comme un cœur sans amour,
Avait éteint ses flammes…..
…La main n’était plus là, qui, vivante et jetant
Le bruit par tous les pores,
Tout à l’heure pressait le clavier palpitant,
Plein de notes sonores….
L’orgue majestueux se taisait gravement
Dans la nef solitaire ;
L’orgue, le seul concert, le seul gémissement
Qui mêle aux cieux la terre….
….L’église s’endormait à l’heure où tu t’endors,
O sereine nature !
A peine quelque lampe au fond des corridors
Etoilait l’ombre obscure……
…..Et ces voix qui passaient disaient joyeusement :
« Bonjour ! gaîté ! délices !
A nous les coupes d’or pleines d’un vin charmant !
A d’autres les calices !
Jouissons ! l’heure est courte et tout fuit promptement,
L’urne est vite remplie !
Le nœud de l’âme au corps, hélas ! à tout moment
Dans l’ombre se délie.
Tirons de chaque objet ce qu’il a de meilleur,
La chaleur de la flamme,
Le vin du raisin mûr, le parfum de la fleur,
Et l’amour de la femme !
Epuisons tout ! Usons du printemps enchanté
Jusqu’au dernier zéphire,
Du jour jusqu’au dernier rayon, de la beauté
Jusqu’au dernier sourire !
Allons jusqu’à la fin de tout, en bon vivant,
D’ivresses en ivresses.
Une chose qui meurt, mes amis, a souvent
De charmantes caresses !
Dans le vin que je bois ce que j’aime le mieux
C’est la dernière goutte.
L’enivrante saveur du breuvage joyeux
Souvent s’y cache toute.
Sur chaque volupté pourquoi nous hâter tous,
Sans plonger dans son onde,
Pour voir si quelque perle ignorée avant nous
N’est pas sous l’eau profonde ?
Que sert de n’effleurer qu’à peine ce qu’on tient,
Quand on a les mains pleines,
Et de vivre essoufflé comme un enfant qui vient
De courir dans les plaines ?
Jouissons à loisir ! Du loisir tout renaît.
Le bonheur nous convie,
Faisons, comme un tison qu’on heurte au dur chenet,
Etinceler la vie.
N’imitons pas ce fou que l’ennui tient aux fers,
Qui pleure et qui s’admire.
Toujours les plus beaux fruits d’ici-bas sont offerts
Aux belles dents du rire……
….Vivons donc ! et buvons, du soir jusqu’au matin,
Pour l’oubli de nous-même !
Et déployons gaîment la nappe du festin,
Linceul du chagrin blême !....
… Les vrais biens de ce monde- et l’autre est importun !-
C’est tout ce qui nous fête,
Tout ce qui met un chant, un rayon, un parfum,
Autour de notre tête…. »