1
Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le Malheur a percé mon vieux cœur de sa lance.
Le sang de mon vieux cœur n’a fait qu’un jet vermeil,
Puis s’est évaporé sur les fleurs, au soleil.
L’ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche,
Et mon vieux cœur est mort dans un frisson farouche.
Alors le chevalier Malheur s’est approché,
Il a mis pied à terre et sa main m’a touché.
Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu’il attestait sa loi d’une voix dure.
Et voici qu’au contact glacé du doigt de fer
Un cœur me renaissait, tout un cœur pur et fier.
Et voici que, fervent d’une candeur divine,
Tout un cœur jeune et bon battit dans ma poitrine.
Or, je restais tremblant, ivre, incrédule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.
Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête,
En s’éloignant, me fit un signe de la tête
Et me cria (j’entends encore cette voix) :
« Au moins, prudence ! Car c’est bon pour une fois. »
7
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ ;
Une tentation des pires. Fuis l’infâme.
Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallée, et ravageant
Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.
Ô pâlis, et va-t-en, lente et joignant les mains.
Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ?
Si la vieille folie était encore en route ?
Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ?
Un assaut furieux, le suprême sans doute !
Ô, va prier contre l’orage, va prier.
10
Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !
C’est vers le Moyen Age, énorme et délicat,
Qu’il faudrait que mon cœur en panne naviguât,
Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste.
Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,
Architecte, soldat, médecin, avocat,
Quel temps ! Oui, que mon cœur naufragé rembarquât
Pour toute cette force ardente, souple, artiste !
Et là que j’eusse part- quelconque, chez les rois,
Ou bien ailleurs, n’importe,- à la chose vitale,
Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,
Haute théologie et solide morale,
Guidé par la folie unique de la Croix,
Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale !
16
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !
La voix vous fut connue (et chère ?)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au cœur qui s’étonne
La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c’est notre vie,
Que de la haine et de l’envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D’être simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n’est meilleur à l’âme
Que de faire une âme moins triste !
Elle est en peine et de passage
L’âme qui souffre sans colère.
Et comme sa morale est claire !....
Ecoutez la chanson bien sage.
19
Voix de l’Orgueil : un cri puissant comme d’un cor,
Des étoiles de sang sur des cuirasses d’or ;
On trébuche à travers des chaleurs d’incendie….
Mais en somme la voix s’en va comme d’un cor.
Voix de la Haine : cloche en mer, fausse, assourdie
De neige lente. Il fait froid ! Lourde, affadie,
La vie a peur et court follement sur le quai
Loin de la cloche qui devient plus assourdie.
Voix de la Chair : un gros tapage fatigué ;
Des gens ont bu ; l’endroit fait semblant d’être gai ;
Des yeux, des noms, et l’air plein de parfums atroces
Où vient mourir le gros tapage fatigué.
Voix d’Autrui : des lointains dans les brouillards ; des noces
Vont et viennent ; des tas d’embarras ; des négoces,
Et tout le cirque des civilisations
Au son trotte-menu du violon des noces.
Colères, soupirs noirs, regrets, tentations,
Qu’il a fallu pourtant que nous entendissions
Pour l’assourdissement des silences honnêtes,
Colères, soupirs noirs, regrets, tentations,
Ah ! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes !
Sentences, mots en vain, métaphores mal faites,
Toute la rhétorique en fuite des péchés,
Ah ! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes !
Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchés.
Mourez à nous, mourez aux humbles vœux cachés
Que nourrit la douceur de la Parole forte,
Car notre cœur n’est plus de ceux que vous cherchez !
Mourez parmi la voix que la Prière emporte
Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte
Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour,
Mourez parmi la voix que la Prière apporte,
Mourez parmi la voix terrible de l’Amour !