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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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02 Recueillements

Par Lamartine Alphonse de

Recueillements
 
Frère ! Le temps n’est plus où j’écoutais mon âme
Se plaindre et soupirer comme une faible femme
Qui de sa propre voix soi-même s’attendrit,
Où par des chants de deuil ma lyre intérieure
Allait multipliant comme un écho qui pleure
Les angoisses d’un seul esprit !
 
Dans l’être universel au lieu de me répandre
Pour tout sentir en lui, tout souffrir, tout comprendre,
Je resserrais en moi l’univers amoindri ;
Dans l’égoïsme étroit d’une fausse pensée
La douleur en moi seul, par l’orgueil condensée,
Ne jetait à Dieu que mon cri !
 
Ma personnalité remplissait la nature,
On eût dit qu’avant elle aucune créature
N’avait vécu, souffert, aimé, perdu, gémi !
Que j’étais à moi seul le mot du grand mystère,
Et que toute pitié du ciel et de la terre
Dût rayonner sur ma fourmi !
 
Pardonnez-nous, mon Dieu, tout homme ainsi commence ;
Le retentissement universel, immense,
Ne fait vibrer d’abord que ce qui sent en lui ;
De son être souffrant l’impression profonde
Dans sa neuve énergie absorbe en lui le monde
Et lui cache les maux d’autrui !
 
Les révolutions (extraits)
 
Marchez ! l’humanité ne vit pas d’une idée
Elle éteint chaque soir celle qui l’a guidée,
Elle en allume une autre à l’éternel flambeau :
Comme ces morts vêtus de leur parure immonde,
Les générations emportent de ce monde
Leurs vêtements dans le tombeau.
 
Là, c’est leurs dieux ; ici, les mœurs de leurs ancêtres,
Le glaive des tyrans, l’amulette des prêtres,
Vieux lambeaux, vils haillons de cultes ou de lois :
Et quand après mille ans dans leurs caveaux on fouille,
On est surpris de voir la risible dépouille
De ce qui fut l’homme autrefois….
 
…Ainsi quand le vaisseau qui vogue entre deux mondes
A perdu tout rivage, et ne voit que les ondes
S’élever et crouler comme deux sombres murs ;
Quand le maître a brouillé les nœuds nombreux qu’il file,
Sur la plaine sans borne il se croit immobile
Entre deux abîmes obscurs.
 
« C’est toujours, se dit-il dans son cœur plein de doute,
Même onde que je vois, même bruit que j’écoute ;
Le flot que j’ai franchi revient pour me bercer ;
A les compter en vain mon esprit se consume,
C’est toujours de la vague, et toujours de l’écume :
Les jours flottent sans avancer ! »
 
Et les jours et les flots semblent ainsi renaître,
Trop pareils pour que l’œil puisse les reconnaître,
Et le regard trompé s’use en les regardant ;
Et l’homme, que toujours leur ressemblance abuse,
Les brouille, les confond, les gourmande et t’accuse,
Seigneur !.... Ils marchent cependant !
 
Et quand sur cette mer, las de chercher sa route,
Du firmament splendide il explore la voûte,
Des astres inconnus s’y lèvent à ses yeux ;
Et, moins triste, aux parfums qui soufflent des rivages,
Au jour tiède et doré qui glisse des cordages,
Il sent qu’il a changé de cieux.
 
Nous donc, si le sol tremble au vieux toit de nos pères,
Ensevelissons-nous sous des cendres si chères,
Tombons enveloppés de ces sacrés linceuls !
Mais ne ressemblons pas à ces rois d’Assyrie
Qui traînaient au tombeau femmes, enfants, patrie,
Et ne savaient pas mourir seuls ;
 
Qui jetaient au bucher, avant que d’y descendre,
Famille, amis, coursiers, trésors réduits en cendre,
Espoir ou souvenirs de leurs jours plus heureux,
Et, livrant leur empire et leurs dieux à la flamme,
Auraient voulu qu’aussi l’univers n’eût qu’une âme,
Pour que tout mourût avec eux !
 
Jocelyn (extraits)
 
La caravane humaine un jour était campée
Dans des forêts bordant une rive escarpée,
Et, ne pouvant pousser sa route plus avant,
Les chênes l’abritaient du soleil et du vent ;
Les tentes, aux rameaux enlaçant leurs cordages,
Formaient autour des troncs des cités, des villages,
Et les hommes épars sur des gazons épais
Mangeaient leur pain à l’ombre et conversaient en paix.
Tout à coup comme atteints d’une rage insensée,
Ces hommes, se levant à la même pensée,
Portent la hache aux troncs, font crouler à leurs pieds
Ces dômes où les nids s’étaient multipliés ;
Et les brutes des bois sortant de leurs repaires
Et les oiseaux, fuyant les cimes séculaires,
Contemplaient la ruine avec un œil d’horreur,
Ne comprenaient pas l’œuvre et maudissaient du cœur
Cette race stupide acharnée à sa perte,
Qui détruit jusqu’au ciel l’ombre qui l’a couverte !
Or, pendant qu’en leur nuit les brutes des forêts
Avaient pitié de l’homme et séchaient de regrets,
L’homme continuant son ravage sublime
Avait jeté les troncs en arche sur l’abîme ;
Sur l’arbre de ses bords gisant et renversé
Le fleuve était partout couvert et traversé,
Et poursuivant en paix son éternel voyage
La caravane avait conquis l’autre rivage.
C’est ainsi que le temps, par Dieu même conduit,
Passe pour avancer sur ce qu’il a détruit ;
Esprit saint ! conduis-les comme un autre Moïse
Par des chemins de paix à la terre promise !!!