Midi (extraits)
Midi, Roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ;
La Terre est assoupie en sa robe de feu.
L’étendue est immense, et les champs n’ont point d’ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière cest sombre,
Dort là-bas, immobile, en son pesant repos.
Seuls, les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la Terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du Soleil.
Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S’éveille, et va mourir à l’horizon poudreux.
Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais…..
Le rêve du jaguar
Sous les noirs acajous, les lianes en fleurs,
Dans l’air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent et, s’enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L’araignée au dos jaune et les singes farouches.
C’est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l’écorce moussue,
Sinistre et fatigué revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu’il bossue ;
Et du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d’une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux du midi,
Dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s’affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D’un large coup de langue, il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil,
Et dans l’illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu’au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux fatigués et beuglants.
Derniers poèmes
L’aigu bruissement des ruches naturelles,
Parmi les tamarins et les manguiers épais,
Se mêlait, tournoyant dans l’air subtil et frais,
A la vibration lente des bambous grêles
Où le matin joyeux dardait l’or de ses rais.
Le vent léger du large, en longues nappes roses
Dont la houle indécise avivait la couleur,
Remuait les maïs et les cannes en fleur,
Et caressait au vol, des vétivers aux roses,
L’oiseau bleu de la Vierge et l’oiselet siffleur.
L’eau vive qui filtrait sous les mousses profondes,
A l’ombre des safrans sauvages et des lys,
Tintait dans les bassins d’un bleu céleste emplis,
Et les ramiers chanteurs et les colombes blondes
Pour y boire ployaient leurs beaux cols assouplis.
La mer calme, d’argent et d’azur irisée,
D’un murmure amoureux saluait le soleil ;
Les taureaux d’Antongil, au sortir du sommeil,
Haussant leurs mufles noirs humides de rosée,
Mugissaient doucement vers l’Orient vermeil.
Tout n’était que lumière, amour, joie, harmonie ;
Et moi, bien qu’ébloui de ce monde charmant,
J’avais au fond du cœur comme un gémissement,
Un douloureux soupir, une plainte infinie,
Très lointaine et très vague et triste amèrement.
C’est que devant ta grâce et ta beauté, Nature !
Enfant qui n’avait rien souffert ni deviné,
Je sentais croître en moi l’homme prédestiné,
Et je pleurais, saisi de l’angoisse future,
Epouvanté de vivre, hélas ! et d’être né.