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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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02 Calligrammes

Par Apollinaire Guillaume

Les collines (extraits)
 
Au-dessus de Paris un jour
Combattaient deux grands avions
L’un était rouge et l’autre noir
Tandis qu’au zénith flamboyait
L’éternel avion solaire
 
L’un était toute ma jeunesse
Et l’autre c’était l’avenir
Ils se combattaient avec rage
Ainsi fit contre Lucifer
L’Archange aux ailes radieuses
 
Ainsi le calcul au problème
Ainsi la nuit contre le jour
Ainsi attaque ce que j’aime
Mon amour ainsi l’ouragan
Déracine l’arbre qui crie
 
Mais vois quelle douceur partout
Paris comme une jeune fille
S’éveille langoureusement
Secoue sa longue chevelure
Et chante sa belle chanson
 
Où donc est tombée ma jeunesse
Tu vois que flambe l’avenir
Sache que je parle aujourd’hui
Pour annoncer au monde entier
Qu’enfin est né l’art de prédire
 
Certains hommes sont des collines
Qui s’élèvent d’entre les hommes
Et voient au loin tout l’avenir
Mieux que s’il était le présent
Plus net que s’il était passé……
 
….Voici le temps de la magie
Il s’en revient attendez-vous
A des milliards de prodiges
Qui n’ont fait naître aucune fable
Nul les ayant imaginés
 
Profondeurs de la conscience
On vous explorera demain
Et qui sait quels êtres vivants
Seront tirés de ces abîmes
Avec des univers entiers
 
Voici s’élever des prophètes
Comme au loin des collines bleues
Ils sauront des choses précises
Comme croient savoir les savants
Et nous transporteront partout
 
La grande force est le désir
Et viens que je te baise au front
O légère comme une flamme
Dont tu as toute la souffrance
Toute l’ardeur et tout l’éclat…..
 
Un fantôme de nuées
 
Comme c’était la veille du quatorze juillet
Vers les quatre heures de l’après-midi
Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques
 
Ces gens qui font des tours en plein air
Commencent à être rares à Paris
Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui
Ils s’en sont allés presque tous en province
 
Je pris le boulevard Saint-Germain
Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton
Je rencontrai les saltimbanques
 
La foule les entourait muette et résignée à attendre
Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir
Poids formidables
Villes de Belgique soulevées à bras tendu par un ouvrier russe de Longwy
Haltères noirs et creux qui ont pour tige un fleuve figé
Doigts roulant une cigarette amère et délicieuse comme la vie
 
De nombreux tapis sales couvraient le sol
Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas
Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière
Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté
Comme un air de musique qui vous poursuit
 
Vois-tu le personnage maigre et sauvage
La cendre de ses pères lui sortait en barbe grisonnante
Il portait ainsi toute son hérédité au visage
Il semblait rêver à l’avenir
En tournant machinalement un orgue de Barbarie
Dont la lente voix se lamentait merveilleusement
Les glouglous les couacs et les sourds gémissements
 
Les saltimbanques ne bougeaient pas
Le plus vieux avait un maillot couleur de ce rose violâtre
Qu’ont aux joues certaines jeunes filles fraîches
Mais près de la mort
 
Ce rose-là se niche surtout dans les plis qui entourent souvent leur bouche
Ou près des narines
C’est un rose plein de traîtrise
 
Cet homme portait-il ainsi sur le dos
La teinte ignoble de ses poumons
 
Les bras les bras partout montaient la garde
 
 
Le second saltimbanque
N’était vêtu que de son ombre
Je le regardai longtemps
Son visage m’échappe entièrement
C’est un homme sans tête
 
Un autre enfin avait l’air d’un voyou
D’un apache bon et crapule à la fois
Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes
N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette
 
La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public
Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante
Au lieu des trois francs que le vieux avait fixés comme prix des tours
 
Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien
On se décida à commencer la séance
De dessous l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire
Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles
Il poussait des cris brefs
Et saluait en écartant gentiment les avant-bras
Mains ouvertes
 
Une jambe en arrière prête à la génuflexion
Il salua ainsi aux quatre coins cardinaux
Et quand il marcha sur une boule
Son corps mince devint une musique si délicate
Que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible
Un petit esprit sans aucune humanité
Pensa chacun
Et cette musique des formes
Détruisit celle de l’orgue mécanique
Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres
 
Le petit saltimbanque fit la roue
Avec tant d’harmonie
Que l’orgue cessa de jouer
Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains
Aux doigts semblables aux descendants de son destin
Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe
Nouveaux cris de Peau-Rouge
Musique angélique des arbres
Disparition de l’enfant
Les saltimbanques soulevèrent les gros haltères à bout de bras
Ils jonglèrent avec les poids
 
Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux
Siècle ô siècle des nuages
 
A Nîmes
 
Je me suis engagé sous le plus beau des cieux
Dans Nice la Marine au nom victorieux
 
Perdu parmi 900 conducteurs anonymes
Je suis un charretier du neuf charroi de Nîmes
 
L’Amour dit Reste ici Mais là-bas les obus
Epousent ardemment et sans cesse les buts
 
J’attends que le printemps commande que s’en aille
Vers le nord glorieux l’intrépide bleusaille
 
Les 3 servants assis dodelinent leurs fronts
Où brillent leurs yeux clairs comme mes éperons
 
Un bel après-midi de garde à l’écurie
J’entends sonner les trompettes d’artillerie
 
J’admire la gaieté de ce détachement
Qui va rejoindre au front notre beau régiment
 
Le territorial se mange une salade
A l’anchois en parlant de sa femme malade
 
4 pointeurs fixaient les bulles des niveaux
Qui remuaient ainsi que les yeux des chevaux
 
Le bon chanteur Girault nous chante après 9 heures
Un grand air d’opéra toi l’écoutant tu pleures
 
Je flatte de la main le petit canon gris
Gris comme l’eau de la Seine et je songe à Paris
 
Mais ce pâle blessé m’a dit à la cantine
Des obus dans la nuit la splendeur argentine
 
Je mâche lentement ma portion de bœuf
Je me promène seul le soir de 5 à 9
 
Je selle mon cheval nous battons la campagne
Je te salue de loin belle rose ô tour Magne
 
2ème canonnier conducteur
 
Me voici libre et fier parmi mes compagnons
Le Réveil a sonné et dans le petit jour je salue
La fameuse Nancéenne que je n’ai pas connue
 
« As-tu connu la putain de Nancy qui a foutu la vxxxxx à toute l’artillerie
L’artillerie ne s’est pas aperçu qu’elle avait mal au …. »
 
Les 3 servants bras dessus bras dessous se sont endormis sur l’avant-train
Et conducteur par mont par val sur le porteur
Au pas au trop ou au galop je conduis le canon
Le bras de l’officier est mon étoile polaire
Il pleut mon manteau est trempé et je m’essuie parfois la figure
Après la serviette-torchon qui est dans la sacoche du sous-verge
Voici des fantassins aux pas pesants aux pieds boueux
La pluie les pique de ses aiguilles le sac les suit
 
« Sacré nom de Dieu quelle allure
Nom de Dieu quelle allure
Cependant que la nuit descend descend »
 
« Souvenirs de Paris avant la guerre
Ils seront bien plus doux après la victoire »
 
« Salut Monde dont je suis la langue éloquente
Que sa bouche Ô Paris tire et tirera
Toujours aux Allemands »
 
Fantassins
Marchantes mottes de terre
Vous êtes la puissance
Du sol qui vous a faits
Et c’est le sol qui va
Lorsque vous avancez
Un officier passe au galop
Comme un ange bleu dans la pluie grise
Un blessé chemine en fumant une pipe
Le lièvre détale et voici un ruisseau que j’aime
Et cette jeune femme nous salue charretiers
La Victoire se tient après nos jugulaires
Et calcule pour nos canons les mesures angulaires
Nos salves nos rafales sont ses cris de joie
Ses fleurs sont nos obus aux gerbes merveilleuses
Sa pensée se recueille aux tranchées glorieuses
 
« J’entends chanter l’oiseau
Le bel oiseau rapace »