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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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03Les Antiquités de Rome

Par Du Bellay Joachim

Songe VI
 
Une louve je vis sous l’antre d’un rocher
Allaitant deux bessons : je vis à sa mamelle
Mignardement jouer cette couple jumelle,
Et d’un col allongé la louve les lécher.
 
Je la vis hors de là sa pâture chercher,
Et courant par les champs, d’une fureur nouvelle
Ensanglanter la dent et la patte cruelle
Sur les menus troupeaux pour sa soif étancher.
 
Je vis mille veneurs descendre des montagnes
Qui bornent d’un côté les lombardes campagnes,
Et vis de cent épieux lui donner dans le flanc.
 
Je la vis de son long sur la plaine étendue,
Poussant mille sanglots, se vautrer en son sang,
Et dessus un vieux tronc la dépouille pendue.
 
Songe VIII
 
Je vis un fier torrent, dont les flots écumeux
Rongeaient les fondements d’une vieille ruine :
Je le vis tout couvert d’une obscure bruine,
Qui s’élevait par l’air en tourbillons fumeux :
 
Dont se formait un corps à sept chefs merveilleux,
Qui villes et châteaux couvait sous sa poitrine,
Et semblait dévorer d’une égale rapine
Les plus doux animaux et les plus orgueilleux.
 
J’étais émerveillé de voir ce monstre énorme
Changer en cent façons son effroyable forme,
Lorsque je vis sortir d’un antre scythien
 
Ce vent impétueux, qui souffle la froidure,
Dissiper ces nuaux, et en si peu que rien
S’évanouir par l’air cette horrible figure.
 
Songe IX
 
Tout effrayé de ce monstre nocturne,
Je vis un corps hideusement nerveux,
A longue barbe, à longs flottants cheveux,
A front ridé et face de Saturne :
 
Qui s’accoudant sur le ventre d’une urne,
Versait une eau, dont le cours fluctueux
Allait baignant tout ce bord sinueux
Où le Troyen combattit contre Turne.
 
Dessous ses pieds une louve allaitait
Deux enfançons : sa main dextre portait
L’arbre de la paix, l’autre la palme forte :
 
Son chef était couronné de laurier.
Adonc lui chut la palme et l’olivier,
Et du laurier la branche devint morte.
 
Songe XI
 
Dessus un mont une flamme allumée
A triple pointe ondoyait vers les cieux,
Qui de l’encens d’un cèdre précieux
Parfumait l’air d’une odeur embaumée.
 
D’un blanc oiseau l’aile bien emplumée
Semblait voler jusqu’au séjour des dieux,
Et dégoisant un chant mélodieux
Montait au ciel avecques la fumée.
 
De ce beau feu les rayons écartés
Lançaient partout mille et mille clartés,
Quand le dégout d’une pluie dorée
 
Le vint éteindre. O triste changement !
Ce qui sentait si bon premièrement
Fut corrompu d’une odeur sulfurée.
 
Songe XII
 
Je vis sourdre d’un roc une vive fontaine,
Claire comme cristal aux rayons du soleil,
Et jaunissant au fond d’un sablon tout pareil
A celui que Pactol roule parmi la plaine.
 
Là semblait que nature et l’art eussent pris peine
D’assembler en un lieu tous les plaisirs de l’œil :
Et là s’oyait un bruit incitant au sommeil,
De cent accords plus doux que ceux d’une sirène.
 
Les sièges et relais luisaient d’ivoire blanc,
Et cent nymphes autour se tenaient flanc à flanc,
Quand des monts plus prochains de faunes une suite
 
En effroyables cris sur le lieu s’assembla,
Qui de ses vilains pieds la belle onde troubla,
Mit les sièges par terre et les nymphes en fuite.
 
Songe XIV
 
Ayant tant de malheurs gémi profondément,
Je vis une cité quasi semblable à celle
Que vit le messager de la bonne nouvelle,
Mais bâti sur le sable était son fondement.
 
Il semblait que son chef touchât au firmament,
Et sa forme n’était moins superbe que belle :
Digne, sil en fut onc, digne d’être immortelle,
Si rien dessous le ciel se fondait fermement.
 
J’étais émerveillé de voir si bel ouvrage,
Quand du côté de nord vint le cruel orage,
Qui soufflant la fureur de son cœur dépité
 
Sur tout ce qui s’oppose encontre sa venue,
Renversa sur-le-champ, d’une poudreuse nue,
Les faibles fondements de la grande cité.