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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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01 J'ai tant rêvé de toi....

Par Desnos Paul

J’ai tant rêvé de toi

 

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

Ô balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

 

Les quatre sans cou

 

Ils étaient quatre et n’avaient plus de tête,

Quatre à qui l’on avait coupé le cou,

On les appelait les quatre sans cou.

 

Quand ils buvaient un verre,

Au café de la place ou du boulevard,

Les garçons n’oubliaient pas d’apporter des entonnoirs.

 

Quand ils mangeaient, c’était sanglant,

Et tous quatre chantant et sanglotant

Quand ils aimaient, c’était du sang.

 

Quand ils couraient, c’était du vent,

Quand ils pleuraient, c’était vivant,

Quand ils dormaient, c’était sans regret.

 

Quand ils travaillaient, c’était méchant,

Quand ils rôdaient, c’était effrayant,

Quand ils jouaient, c’était différent,

Quand ils jouaient, c’était comme tout le monde,

Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,

Quand ils jouaient, c’était étonnant.

 

Mais quand ils parlaient, c’était d’amour.

Ils auraient pour un baiser

Donné ce qui leur restait de sang.

 

Leurs mains avaient des lignes sans nombre

Qui se perdaient parmi les ombres

Comme des rails dans la forêt.

 

Quand ils s’asseyaient, c’était plus majestueux que des rois

Et les idoles se cachaient derrière leurs croix

Quand devant elles ils passaient droits.

 

On leur avait rapporté leur tête

Plus de vingt fois, plus de cent fois,

Les ayant retrouvés à la chasse ou dans les fêtes,

 

Mais jamais ils ne voulurent reprendre

Ces têtes où brillaient leurs yeux

Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.

 

Cela ne faisait peut-être pas l’affaire

Des chapeliers et des dentistes.

La gaieté des uns rend les autres tristes.

 

Les quatre sans cou vivent encore, c’est certain.

J’en connais au moins un

Et peut-être aussi les trois autres.

 

Le premier, c’est Anatole,

Le second, c’est Croquignole,

Le troisième, c’est Barbemolle,

Le quatrième, c’est encore Anatole.

 

Je les vois de moins en moins,

Car c’est déprimant, à la fin,

La fréquentation des gens trop malins.

 

Comme

 

Comme, dit l’Anglais à l’Anglais, et l’Anglais vient.

Côme, dit le chef de gare, et le voyageur qui vient dans cette ville descend du train sa valise à la main.

Come, dit l’autre, et il mange.

Comme, je dis comme et tout se métamorphose, le marbre en eau, le ciel en orange, le vin en plaine, le fil en six, le cœur en peine, la peur en seine.

Mais si l’Anglais dit as, c’est à son tour de voir le monde changer de forme à sa convenance

Et moi je ne vois plus qu’un signe unique sur une carte :

L’as de cœur si c’est en février,

L’as de carreau et l’as de trèfle, misère en Flandre,

L’as de pique aux mains des aventuriers.

Et si cela me plaît à moi de vous dire machin,

Pot à eau, mousseline et potiron.

Que l’Anglais dise machin,

Que machin dise le chef de gare,

Machin dise l’autre,

Et moi aussi.

Machin.

Et même machin chose.

Il est vrai que vous vous en foutez

Que vous ne comprenez pas la raison de ce poème

Moi non plus d’ailleurs.

Poème, je vous demande un peu ?

Poème, je vous demande un peu de confiture,

Encore un peu de gigot,

Encore un petit verre de vin

Pour nous mettre en train…..

Poème, je ne vous demande pas l’heure qu’il est.

Poème, je ne vous demande pas si votre beau-père est poilu comme un sapeur.

Poème, je vous demande un peu…. ?

 

Poème, je ne vous demande pas l’aumône,

Je vous la fais.

Poème, je ne vous demande pas l’heure qu’il est,

Je vous la donne.

Poème, je ne vous demande pas si vous allez bien,

Cela se devine.

Poème, poème, je vous demande un peu…

Je vous demande un peu d’or pour être heureux avec celle que j’aime.

 

La girafe

 

La girafe et la girouette,

Vent du sud et vent de l’est,

Tendent leur cou vers l’alouette,

Vent du nord et vent de l’ouest.

 

Toutes deux vivent près du ciel,

Vent du sud et vent de l’est,

A la hauteur des hirondelles,

Vent du nord et vent de l’ouest.

 

Et l’hirondelle pirouette,

Vent du sud et vent de l’est,

En été sur les girouettes,

Vent du nord et vent de l’ouest.

 

L’hirondelle fait des paraphes,

Vent du sud et vent de l’est,

Tout l’hiver autour des girafes,

Vent du nord et vent de l’ouest.

 

Le paysage

 

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour

Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses

Chargeant de leurs parfums la forêt où repose

Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.

 

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour

Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose

Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,

Illumine en fuyant l’adieu du carrefour.

 

C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,

Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit,

L’écume sur la mer, dans le ciel ce nuage.

 

A vieillir tout devient rigide et lumineux,

Des boulevards sans noms et des cordes sans nœuds.

Je me sens me roidir avec le paysage.