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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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01 Le petit village...

Par Ramuz Charles

Le petit village

 

Ce jour-là, quand je t’ai vue,

J’étais comme quand on regarde le soleil ;

J’avais un grand feu dans la tête,

Je ne savais plus ce que je faisais,

J’allais tout de travers comme un qui a trop bu,

Et mes mains tremblaient.

 

Je suis allé tout seul par le sentier des bois,

Je croyais te voir marcher devant moi,

Et je te parlais,

Mais tu ne me répondais pas.

 

J’avais peur de te voir, j’avais peur de t’entendre,

J’avais peur du bruit de tes pieds dans l’herbe,

J’avais peur de ton rire dans les branches ;

Et je me disais : « Tu es fou,

Ah ! si on te voyait, comme on se moquerait de toi ! »

Ca ne servait à rien du tout.

 

Et quand je suis rentré, c’était minuit passé,

Mais je n’ai pas pu m’endormir.

Et le lendemain, en soignant mes bêtes,

Je répétais ton nom, je disais : « Marianne… »

Les bêtes tournaient la tête pour entendre ;

Je me fâchais, je leur criais : « Ca vous regarde ?

Allons, tranquilles, eh ! Comtesse, eh ! la Rousse. »

Et je les prenais par les cornes.

 

Ca a duré ainsi trois jours

Et puis je n’ai plus eu la force.

Il a fallu que je la revoie.

Elle est venue, elle a passé,

Elle n’a pas pris garde à moi.

 

Le jour de notre noce, j’y pense tout le temps,

Il fera un soleil comme on n’a jamais vu ;

Il fera bon aller en char

A cause du vent frais qui vous souffle au visage,

Quand la bonne jument va trottant sur la route

Et qu’on claque du fouet pour qu’elle aille plus fort.

 

On lui donnera de l’avoine,

En veux-tu, en voilà ;

On l’étrillera bien qu’elle ait l’air d’un cheval

Comme ceux de la ville ;

Et trotte ! et tu auras ton voile qui s’envole,

 

Et tu souriras au travers

Parce qu’il aura l’air

De faire signe aux arbres,

Comme quand on agite un mouchoir au départ.

 

On se regardera, on dira : « On s’en va,

On commence le grand voyage ;

Heureusement qu’il n’y a pas

Des océans à traverser. »

Et quand nous serons arrivés,

La cloche sonnera, la porte s’ouvrira,

L’orgue se mettra à jouer ;

Tu diras oui, je dirai oui ;

Et nos voix trembleront un peu

Et hésiteront à cause du monde

Et parce qu’on n’aime à se dire ces choses

Que tout doucement à l’oreille.