Je ne souffrirais point, si j’étais que de vous,
Que jamais d’Henriette il pût être l’époux.
On me ferait grand tort d’avoir quelque pensée
Que là-dessus je parle en fille intéressée,
Et que le lâche tour que l’on voit qu’il me fait
Jette au fond de mon cœur quelque dépit secret :
Contre de pareils coups l’âme se fortifie
Du solide secours de la philosophie,
Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout.
Mais vous traiter ainsi, c’est vous pousser à bout :
Il est de votre honneur d’être à ses vœux contraire,
Et c’est un homme enfin qui ne doit point vous plaire.
Jamais je n’ai connu, discourant entre nous,
Qu’il eût au fond du cœur de l’estime pour vous.
…..
Eh ! doucement de grâce : un peu de charité,
Madame, ou tout au moins un peu d’honnêteté.
Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense,
Pour armer contre moi toute votre éloquence ?
Pour vouloir me détruire et prendre tant de soin
De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ?
Parlez, dites, d’où vient ce courroux effroyable ?
Je veux bien que Madame en soit juge équitable.
Si j’avais le courroux dont on veut m’accuser,
Je trouverais assez de quoi l’autoriser :
Vous en seriez trop digne, et les premières flammes
S’établissent des droits si sacrés sur les âmes,
Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour,
Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour ;
Au changement des vœux nulle horreur ne s’égale,
Et tout cœur infidèle est un monstre en morale.
Appelez-vous, Madame, une infidélité
Ce que m’a de votre âme ordonné la fierté ?
Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle m’impose ;
Et si je vous offense, elle seule en est la cause.
Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur :
Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur ;
Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services,
Dont il ne vous ai fait d’amoureux sacrifices.
Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous ;
Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux.
Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.
Voyez : est-ce, Madame, ou ma faute, ou la vôtre ?
Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ?
Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ?
….
Pour moi, par un malheur, je m’aperçois, Madame,
Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme,
Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part ;
De ces détachements je ne connais point l’art ;
Le Ciel m’a dénié cette philosophie,
Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.
Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit,
Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit,
Ces unions de cœur, et ces tendres pensées
Du commerce des sens si bien débarrassées.
Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés ;
Je suis un peu grossier, comme vous m’accusez ;
J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne
En veut, je le confesse, à toute la personne.
Ce n’est pas là matière à de grands châtiments ;
Et, sans faire de tort à vos bons sentiments,
Je vois que dans le monde on suit fort ma méthode,
Et que le mariage est assez à la mode,
Passe pour un lien assez honnête et doux,
Pour avoir désiré de me voir votre époux,
Sans que la liberté d’une telle pensée
Ait dû vous donner lieu d’en paraître offensée.
……
Mais Monsieur Trissotin n’a pu duper personne,
Et chacun rend justice aux écrits qu’il nous donne :
Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu’il vaut ;
Et ce qui m’a vingt fois fait tomber de mon haut,
C’est de vous voir au ciel élever des sornettes
Que vous désavoueriez, si vous les aviez faites.
……
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