….. Albine, il ne faut pas s’éloigner un moment.
Je veux l’attendre ici. Les chagrins qu’il me cause
M’occuperont assez tout le temps qu’il repose.
Tout ce que j’ai prédit n’est que trop assuré.
Contre Britannicus Néron s’est déclaré.
L’impatient Néron cesse de se contraindre ;
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre.
Britannicus le gêne, Albine, et chaque jour
Je sens que je deviens importune à mon tour.
……
….Il vous doit son amour.
Il me le doit, Albine.
Tout, s’il est généreux, lui prescrit cette loi ;
Mais tout, s’il est ingrat, lui parle contre moi.
……
Non, non, mon intérêt ne me rend point injuste :
Il commence, il est vrai, par où finit Auguste ;
Mais crains que, l’avenir détruisant le passé,
Il ne finisse ainsi qu’Auguste a commencé.
Il se déguise en vain. Je lis sur son visage
Des fiers Domitius l’humeur triste et sauvage.
Il mêle avec l’orgueil qu’il a pris dans leur sang
La fierté des Nérons qu’il puisa dans mon flanc.
Toujours la tyrannie a d’heureuses prémices :
De Rome, pour un temps, Caïus fut les délices ;
Mais, sa feinte bonté se tournant en fureur,
Les délices de Rome en devinrent l’horreur.
Que m’importe, après tout, que Néron, plus fidèle,
D’une longue vertu laisse un jour le modèle ?
Ai-je mis dans sa main le timon de l’Etat
Pour le conduire au gré du peuple et du sénat ?
Ah ! que de la patrie il soit, s’il veut, le père ;
Mais qu’il songe un peu plus qu’Agrippine est sa mère.
De quel nom cependant pouvons-nous appeler
L’attentat que le jour vient de nous révéler ?
Il sait, car leur amour ne peut être ignorée,
Que de Britannicus Junie est adorée :
Et ce même Néron que la vertu conduit
Fait enlever Junie au milieu de la nuit.
Que veut-il ? Est-ce haine, est-ce amour, qui l’inspire ?
Cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire ?
Ou plutôt n’est-ce point que sa malignité
Punit sur eux l’appui que je leur ai prêté ?
……
…..Tous ces présents, Albine, irritent mon dépit :
Je vois mes honneurs croître et tomber mon crédit.
Non, non, le temps n’est plus que Néron, jeune encore,
Me renvoyait les vœux d’une cour qui l’adore,
Lorsqu’il se reposait sur moi de tout l’Etat,
Que mon ordre au palais assemblait le sénat,
Et que, derrière un voile, invisible et présente,
J’étais de ce grand corps l’âme toute-puissante.
Des volontés de Rome alors mal assuré,
Néron de sa grandeur n’était point enivré.
Ce jour, ce triste jour, frappe encor ma mémoire,
Où Néron fut lui-même ébloui de sa gloire,
Quand les ambassadeurs de tant de rois divers
Vinrent le reconnaître au nom de l’univers.
Sur son trône avec lui j’allais prendre ma place.
J’ignore quel conseil prépara ma disgrâce ;
Quoi qu’il en soit, Néron, d’aussi loin qu’il me vit,
Laissa sur son visage éclater son dépit.
Mon cœur même en conçut un malheureux augure.
L’ingrat, d’un faux respect colorant son injure,
Se leva par avance, et, courant m’embrasser,
Il m’écarta du trône où je m’allais placer.
Depuis ce coup fatal le pouvoir d’Agrippine,
Vers sa chute, à grands pas, chaque jour s’achemine.
L’ombre seule m’en reste, et l’on implore plus
Que le nom de Sénèque et l’appui de Burrhus.
…..
César ne me voit plus, Albine, sans témoins.
En public, à mon heure, on me donne audience.
Sa réponse est dictée, et même son silence.
Je vois deux surveillants, ses maîtres et les miens,
Présider l’un ou l’autre à tous nos entretiens.
Mais je le poursuivrai d’autant plus qu’il m’évite.
De son désordre, Albine, il faut que je profite.
J’entends du bruit ; on ouvre. Allons subitement
Lui demander raison de cet enlèvement.
Surprenons, s’il se peut, les secrets de son âme.
…….
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