……
Ma mère a ses desseins, Madame, et j’ai les miens.
Ne parlons plus ici de Claude et d’Agrippine :
Ce n’est point par leur choix que je me détermine.
C’est à moi seul, Madame, à répondre de vous ;
Et je veux de ma main vous choisir un époux.
Ah ! Seigneur, songez-vous que toute autre alliance
Fera honte aux Césars auteurs de ma naissance ?
Non, Madame, l’époux dont je vous entretiens
Peut sans honte assembler vos aïeux et les siens :
Vous pouvez, sans rougir, consentir à sa flamme.
Et quel est donc, Seigneur, cet époux ?
Moi, Madame.
……
Seigneur, avec raison je demeure étonnée.
Je me vois, dans le cours d’une même journée,
Comme une criminelle amenée en ces lieux,
Et, lorsque avec frayeur je parais à vos yeux,
Que sur mon innocence à peine je me fie,
Vous m’offrez tout d’un coup la place d’Octavie.
J’ose dire pourtant que je n’ai mérité
Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité.
Et pouvez-vous, Seigneur, souhaiter qu’une fille
Qui vit presqu’en naissant éteindre sa famille,
Qui, dans l’obscurité nourrissant sa douleur,
S’est fait une vertu conforme à son malheur,
Passe subitement de cette nuit profonde
Dans un rang qui l’expose aux yeux de tout le monde,
Dont je n’ai pu de loin soutenir la clarté,
Et dont une autre enfin remplit la majesté ?
Je vous ai déjà dit que je la répudie.
Ayez moins de frayeur, ou moins de modestie.
N’accusez point ici mon choix d’aveuglement ;
Je vous réponds de vous : consentez seulement.
Du sang dont vous sortez rappelez la mémoire ;
Et ne préférez point, à la solide gloire
Des honneurs dont César prétend vous revêtir,
La gloire d’un refus, sujet au repentir.
Le ciel connaît, Seigneur, le fond de ma pensée.
Je ne me flatte point d’une gloire insensée :
Je sais de vos présents mesurer la grandeur ;
Mais plus ce rang sur moi répandrait de splendeurs,
Plus il me ferait honte, et mettrait en lumière
Le crime d’en avoir dépouillé l’héritière.
C’est de ses intérêts prendre beaucoup de soins,
Madame ; et l’amitié ne peut aller plus loin.
Mais ne nous flattons point, et laissons le mystère.
La sœur vous touche ici beaucoup moins que le frère :
Et pour Britannicus…
Il a su me toucher,
Seigneur, et je n’ai point prétendu m’en cacher.
……
Je pouvais de ces lieux lui défendre l’entrée ;
Mais, Madame, je veux prévenir le danger
Où son ressentiment le pourrait engager.
Je ne veux point le perdre. Il vaut mieux que lui-même
Entende son arrêt de la bouche qu’il aime.
Si ses jours vous sont chers, éloignez-le de vous,
Sans qu’il ait aucun lieu de me croire jaloux.
De son bannissement prenez sur vous l’offense ;
Et, soit par vos discours, soit par votre silence,
Du moins par vos froideurs, faites-lui concevoir
Qu’il doit porter ailleurs ses vœux et son espoir.
Moi ! Que je lui prononce un arrêt si sévère !
Ma bouche mille fois lui jura le contraire.
Quand même jusque-là je pourrais me trahir,
Mes yeux lui défendront, Seigneur, de m’obéir.
Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame.
Renfermez votre amour dans le fond de votre âme.
Vous n’aurez pas pour moi de langages secrets :
J’entendrai des regards que vous croirez muets ;
Et sa perte sera l’infaillible salaire
D’un geste ou d’un soupir échappé pour lui plaire.
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