La singesse
Donc voici ! Moi, Poète, en ma haute sagesse
Respuant l’Eve à qui le Père succomba
J’ai choisi pour l’aimer une jeune singesse
Au pays noir dans la forêt de Mayummba.
Fille des mandrills verts, ô guenuche d’Afrique,
Je te proclame ici la reine et la Vénus
Quadrumane, et je bous d’une ardeur hystérique
Pour les callosités qui bordent ton anus.
J’aime ton cul pelé, tes rides, tes bajoues
Et je proclamerai devant maintes et maints,
Devant monsieur Reyer, mordieu ! que tu ne joues
Oncques du piano malgré tes quatre mains :
Et comme Salomon pour l’enfant sémitique,
La perle d’Issachar offerte au bien-aimé,
J’entonnerai pour lui l’énamouré cantique,
O ma tour de David, ô mon jardin fermé…
C’était dans la forêt vierge, sous les tropiques
Où s’ouvre en éventail le palmier chamoerops ;
Dans le soir alangui d’effluves priapiques
Stridait, rauque, le cri des nyctalomerops ;
L’heure glissait, nocturne, où gazelles, girafes,
Couaggas, éléphants, zèbres, zébus, springbocks,
Vont boire aux zihouas sans verres ni carafes
Laissant l’homme pervers s’intoxiquer de bocks ;
Sous les cactus en feu tout droits comme des cierges
Des lianes rampaient (nullement de Pougy) ;
Autant que la forêt ma Singesse était vierge ;
De son sang virginal l’humus était rougi.
Le premier, j’écartai ses lèvres de pucelle
En un rut triomphal, oublieux de Malthus,
Et des parfums salés montaient de ses aiselles
Et des parfums pleuvaient des larysacanthus.
Elle se redressa, fière de sa blessure,
A demi souriante et confuse à demi ;
Le rugissement fou de notre jouissure
Arrachait au repos le chacal endormi.
Sept fois je la repris, lascive ; son œil jaune
Clignotait, langoureux, tour à tour, et mutin ;
La Dryade amoureuse aux bras du jeune Faune
A moins d’amour en fleurs et d’esprit libertin !
Toi, Fille des humains, triste poupée humaine
Au ventre plein de son, tondeuse de Samson,
Dalila, Bovary, Merneffe ou Célimène,
Contemple mon épouse et retiens sa leçon :
Mon épouse est loyale et très chaste et soumise,
Et j’adore la voir, aux matins ingénus,
Le cœur sans artifice et le corps sans chemise,
Au soleil tropical, montrer ses charmes nus ;
Elle sait me choisir ignames et goyaves ;
Lorsque nous cheminons par les sentiers étroits,
Ses mains aux doigts velus écartent les agaves,
Tel un page attentif marchant devant les rois,
Puis dans ma chevelure oublieuse du peigne
Avec précaution elle cherche les poux,
Satisfaite pourvu que d’un sourire daigne
La payer, une fois, le Seigneur et l’Epoux.
Si quelque souvenir de douleur morte amasse
Des rides sur mon front que l’ennui foudroya,
Pour divertir son maître elle fait la grimace
Grotesque et fantastique à délecter Goya !
Un étrange rictus tord sa narine bleue,
Elle se gratte d’un geste obscène et joli
La fesse puis s’accroche aux branches par la queue
En bondissant, Footitt, Littl-Tich, Hanlon-Lee !
Mais soudain la voilà très grave ! Sa mimique
Me dicte et je sais lire en ses regards profonds
Des vocables muets au sens métaphysique
Je comprends son langage et nous philosophons :
Elle croit en un Dieu par qui le soleil brille,
Qui créa l’univers pour le bon chimpanzé
Puis dont le Fils-Unique, un jour, s’est fait gorille
Pour ravir le pécheur à l’enfer embrasé !
Simiesque Iaveh de la forêt immense,
Ô Zeus omnipotent de l’Animalité,
Fais germer en ses flancs et croître ma semence,
Ouvre son utérus à la maternité
Car je veux voir issus de sa vulve féconde
Nos enfants libérés d’atavismes humains,
Aux obroontchoas que la serpe n’émonde
Jamais, en grimaçant grimper à quatre mains !....
Et dans l’espoir sacré d’une progéniture
Sans lois, sans préjugés, sans rêves décevants,
Nous offrons notre amour à la grande Nature,
Fiers comme les palmiers, libres comme les vents !!!
Apologie pour Georges Fourest
Je n’ai point cet esprit qui subjugue « les dames »,
J’incague la pudeur, convomis le bon goût,
Et si mon Apollo, perruquiers et vidames,
Vous offusque parbleu ! mon Apollo s’en fout !
Ma flave moricaude en exhibant sa fesse
Epoustoufla tel cuistre et tel juticiard
Et mon géranium pondeur, je le confesse,
Semble aux gens distingués terriblement criard.
« Je suis mal embouché, dit-on, scatologique,
Scurrile, extravagant, obscène !... » Et puis après ?
Pour blaguer le héros langoureux ou tragique
A moi le calembour énorme et l’à-peu-près !
Matagrabolisant le pleutre qui me rase,
Me souciant très peu que l’on m’approuve ou non
Et laissant aux châtrés l’exsangue périphrase,
Eh ! bien oui ! j’ai nommé la Merde par son nom :
En cinq lettres j’ai dit l’horrifique vocable
Sans même l’adorner d’un R comme Jarry ;
Que si pour ce forfait votre courroux m’accable
Je m’en vante, couillons, loin d’en être marri.
Si ce bas-bleu puant qui n’a plus ses menstrues
Depuis mil neuf cent trois sur un ton puritain
Vient bégueuler parmi des chameaux et des grues
(Oh ! comme puritain rime bien avec putain !)
Malgré tous ses chichis dont je ne suis pas dupe
Pour payer leur salaire à ses ragots haineux
D’une main sans douceur je trousserai sa jupe
Et fouaillerai sadiquement son cul breneux ;
Je passementerai de clinquant ma défroque,
Je me barbouillerai de sauvages couleurs,
J’entasserai le biscornu sur le baroque,
Mes rimes hurleront tels des singes hurleurs !
Mon rire, mons Public, c’est le rire sonore,
Idoine à brimballer tes boyaux triomphants
Et qui découvrira la parure osanore
Qu’un dentiste pour toi ravit aux éléphants,
C’est le rire cachinatoire, épileptique,
Le rire vrai qui fait baver, pleurer, tousser,
Pisser, c’est le moteur du grand zygomatique
Et l’agelaste en vain tâche à le rabaisser.
Je ne diluerai pas mon encre avant d’écrire
Et je m’esclafferai cynique et sans remord,
Abandonnant aux salonnards le « fin sourire »
Et le rictus amer à la tête-de-mort !
Envoi
Aux pieds de Rabelais, le Duc, le Roi, le Maître,
O mes Pères Scarron, Saint-Amant, d’Assoucy,
Colletet, Sarrazin, daignerez-vous permettre
Qu’à vos côtés Fourest vienne s’asseoir aussi ?