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Poètes du temps passé


Sur cette page, vous trouverez une sélection de poèmes.

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04 Calligrammes

Par Apollinaire Guillaume

Veille
 
Mon cher André Rouveyre
Troudla la Champignon Tabatière
On ne sait quand on partira
Ni quand on reviendra
 
Au Mercure de France
Mars revient tout couleur d’espérance
J’ai envoyé mon papier
Sur papier quadrillé
 
J’entends les pas des grands chevaux d’artillerie
Allant au trot sur la grand-route où moi je veille
Un grand manteau gris de crayon comme le ciel
M’enveloppe jusqu’à l’oreille
Quel
Ciel
Triste
Piste
Vale
Pâle
Sou-
Rire
De la lune qui me regarde écrire
 
Ombre
 
Vous voilà de nouveau près de moi
Souvenirs de mes compagnons morts à la guerre
L’olive du temps
Souvenirs qui n’en faites plus qu’un
Comme cent fourrures ne font qu’un manteau
Comme ces milliers de blessures ne font qu’un article de journal
Apparence impalpable et sombre qui avez pris
La forme changeante de mon ombre
Un indien à l’affût pendant l’éternité
Ombre vous rampez près de moi
Mais vous ne m’entendez plus
Vous ne connaîtrez plus les poèmes divins que je chante
Tandis que moi je vous entends je vous vois encore
Destinées
Ombre multiple que le soleil vous garde
Vous qui m’aimez assez pour ne jamais me quitter
Et qui dansez au soleil sans faire de poussière
Ombre encre du soleil
Ecriture de ma lumière
Caisson de regrets
Un dieu qui s’humilie
 
C’est Lou qu’on la nommait
 
Il est des loups de toute sorte
Je connais le plus inhumain
Mon cœur que le diable l’emporte
Et qu’il le dépose à sa porte
N’est plus qu’un jouet dans sa main
 
Les loups jadis étaient fidèles
Comme sont les petits toutous
Et les soldats amants des belles
Galamment en souvenir d’elles
Ainsi que les loups étaient doux
 
Mais aujourd’hui les temps sont pires
Les loups sont tigres devenus
Et les soldats et les Empires
Les Césars devenus Vampires
Sont aussi cruels que Vénus
 
J’en ai pris mon parti Rouveyre
Et monté sur mon grand cheval
Je vais bientôt partir en guerre
Sans pitié chaste et l’œil sévère
Comme ces guerriers qu’Epinal
 
Vendait Images populaires
Que Georgin gravait dans le bois
Où sont-ils ces beaux militaires
Soldats passés Où sont les guerres
Où sont les guerres d’autrefois
 
Mutation
 
Une femme qui pleurait
Eh ! Oh ! Ha !
Des soldats qui passaient
Eh ! Oh ! Ha !
Un éclusier qui pêchait
Eh ! Oh ! Ha !
Les tranchées qui blanchissaient
Eh ! Oh ! Ha !
Des obus qui pétaient
Eh ! Oh ! Ha !
Des allumettes qui ne prenaient pas
Et tout
A tant changé
En moi
Tout
Sauf mon Amour
Eh ! Oh ! Ha !
 
De la batterie de tir
 
Nous sommes ton collier France
Venus des Atlantides ou bien des Négrities
Des Eldorados ou bien des Cimméries
Rivière d’hommes forts et d’obus dont l’orient chatoie
Diamants qui éclosent la nuit
O Roses ô France
Nous nous pâmons de volupté
A ton cou penché vers l’Est
Nous sommes l’Arc-en-terre
Signe plus pur que l’Arc-en-Ciel
Signe de nos origines profondes
Etincelles
O nous les très belles couleurs
 
Les soupirs du servant de Dakar
 
C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier
Auprès des canons gris tournés vers le nord
Que je songe au village africain
Où l’on dansait où l’on chantait où l’on faisait l’amour
Et de longs discours
Nobles et joyeux
 
Je revois mon père qui se battit
Contre les Achantis
Au service des Anglais
Je revois ma sœur au rire en folie
Aux seins durs comme des obus
Et je revois
Ma mère la sorcière qui seule du village
Méprisait le sel
Piler le millet dans un mortier
Je me souviens du si délicat si inquiétant
Fétiche dans l’arbre
Et du double fétiche de la fécondité
Plus tard une tête coupée
Au bord d’un marécage
O pâleur de mon ennemi
C’était une tête d’argent
Et dans le marais
C’était la lune qui luisait
C’était donc une tête d’argent
Là-haut c’était la lune qui dansait
C’était donc une tête d’argent
Et moi dans l’antre j’étais invisible
C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde
Similitudes Pâleurs
Et ma sœur
Suivit plus tard un tirailleur
Mort à Arras
 
Si je voulais savoir mon âge
Il faudrait le demander à l’évêque
Si doux si doux avec ma mère
De beurre de beurre avec ma sœur
C’était dans une petite cabane
Moins sauvage que notre cagnat de canonniers-servants
J’ai connu l’affût au bord des marécages
Où la girafe boit les jambes écartées
J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste
Le Village
Viole les femmes
Emmène les filles
Et les garçons dont la croupe dure sursaute
J’ai porté l’administrateur des semaines
De village en village
En chantonnant
Et je fus domestique à Paris
Je ne sais pas mon âge
Mais au recrutement
On m’a donné vingt ans
Je suis soldat français on m’a blanchi du coup
Secteur 59 je ne peux pas dire où
Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir
 
Pourquoi ne pas danser et discourir
Manger et puis dormir
Et nous tirons sur les ravitaillements boches
Ou sur les fils de fer devant les bobosses
Sous la tempête métallique
Je me souviens d’un lac affreux
Et de couples enchaînés par un atroce amour
Une nuit folle
Une nuit de sorcellerie
Comme cette nuit-ci
Où tant d’affreux regards
Eclatent dans le ciel splendide