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Poetry


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64 Dans le train de Bordeaux

By Marc Rugani

Dans le train de Bordeaux
 
Un bon matin
-Etait-il bon ? Etait-il beau ? Je n’en sais rien
Car je ne m’en souviens plus, mais c’était assez tôt
De cela je suis certain-
J’ai pris le train
Destination Bordeaux.
 
J’ai laissé en Arcachon
Où je faisais villégiature
Après avoir globe-trotter toute la saison
Sa dune, ses plages et ses anciennes maisons
Ainsi que ma voiture
Tout derrière moi
Pour une journée, sans grand émoi
Plutôt ravi de l’aventure.
 
Bordeaux est une grande ville
Très belle, paraît-il
Jamais je n’y étais allé
Ou il y a si longtemps, de l’eau avait coulé
Sous ses vieux ponts en quantité
J’avais tout oublié
Et voulais donc m’en assuré.
 
J’ai pris ma place sur la banquette
En compagnie des voyageurs : en face une fillette
Gentille avec sa mère
Et à côté deux jeunes compères
L’un gros petit et fagoté comme l’as de pique
L’autre, escogriffe maigre comme un coup de trique
Un peu Laurel et son Hardy, bien sympathiques.
 
Puis au moment de partir
Avant que « clic ! »
 Se ferment les portes
Et que le train ne nous emporte
Dans son périple mécanique
Une jeune femme sans coup férir
Squatta à gauche la place vacante
Après un « Je peux ? » « Merci » très obligeante.
 
Entouré ainsi d’une telle jeunesse
Mon aventure bordelaise me parût bien engagée
Aussi dans ma banquette bientôt calé
Avec le cœur au vent plein d’allégresse
Je me laissai un peu aller.
 
En face la mère sa fille faisaient une causette
Presque un murmure, extrêmement discrètes
Alors qu’à  droite les jeunes taillaient une bavette
A forte voix interrompue de temps en temps
De larges rires éclatants
Il n’y avait que moi qui demeurais très silencieux
Et ma voisine avec un air studieux.
 
C’est que, à peine assise, avec célérité
Sans prendre le temps de respirer
Elle avait d’une noire serviette
Sorti un bloc papier qui me sembla bien quadrillé
A lettres ?
Peut-être
-Aux temps modernes d’aujourd’hui
Qui courent et font feu de tout bois, on écrit sur des papiers
De toutes sortes, jaune, vert, de fantaisie-
Bref, une feuille avec dessus des choses annotées.
 
La liste était fort longue avec en tête
Un titre « A faire »
Bien gras, bien souligné, bien encadré, un vrai repère
Un pense-bête
Pour ne rien oublier ni perdre, surtout la tête
La jeune femme l’avait d’ailleurs jolie
Nul doute qu’elle fût aussi remplie.
 
Le temps passant, pour le meubler
Et qu’il s’écoule plus agréablement
-Derrière la vitre, le plat pays se déroulant
Etait fort peu enthousiasmant-
J’ai dit trois mots à ma voisine studieuse
Quelques bêtises, calembredaines des moins sérieuses
Pour la distraire
De sa longue liste « A faire ».
 
C’était très égoïste
Elle travaillait
Et moi tranquille comme Baptiste
Je m’ennuyais
Mais il faut croire que mon interruption lui plut
Puisque du tac au tac et en souriant il me fut répondu
La jeune femme était charmante
Et avenante
Nous conversâmes sans plus désemparer
Jusqu’à notre arrivée.
 
Et patati et blablabla
Et blablabla et patata
Nous parlâmes d’un peu de tout
D’elle, de moi, de nous
Le temps soudain très vite passa
Comme un coup de vent ; à nos côtés la fille la mère
Et nos Laurel Hardy les deux compères
Nous imitaient, le train ici était une vraie volière.
 
Le trajet entre Bordeaux et Arcachon
Ou son inverse n’est pas très long
-Le train fit son affaire des kilomètres comme un glouton-
Il le fût moins encore ce jour
J’étais en bonne compagnie et le trouvai beaucoup trop court
A bavarder ainsi, trop tard me vint l’idée
Pour retrouver ma belle voisine et continuer à discuter
Et plus encore en cas d’affinité
De l’inviter à déjeuner
C’est que sitôt que freins crissant le train stoppa en gare
Sans perdre une minute, ni prendre de retard
Elle enfourcha son grand vélo
Et fila illico
Que dis-je : dare dare
Et même plus vite encore, presto
Façon Bernard Hinault
Pour toutes ses choses « à faire » dans Bordeaux.
 
A peine eux-je le temps de gratifier la belle d’un signe d’adieu
Ni elle d’un sourire gracieux
Ce fut fini.
 
Jamais je ne l’ai vue depuis
Ni au retour
Ni lors d’un autre jour.
 
Mon voyage Arcachon-Bordeaux
Se déroula ainsi; en arrivant il faisait beau
Les ruelles moyenâgeuses, les beaux quartiers
M’attendaient tout à côté
Alors avec plaisir je commençai tranquillement à pieds
La découverte de Bordeaux.