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Poets of the past


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08 Calligrammes

By Apollinaire Guillaume

Le vigneron champenois
 
Le régiment arrive
Le village est presque endormi dans la lumière parfumée
Un prêtre a le casque en tête
La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie
Les ceps de vigne comme l’hermine sur un écu
Bonjour soldats
Je les ai vus passer et repasser en courant
Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente
Vous resterez quelques jours et puis remonterez en ligne
Echelonnés ainsi que sont les ceps de vigne
J’envoie mes bouteilles partout comme les obus d’une charmante artillerie
 
La nuit est blonde ô vin blond
Un vigneron chantait courbé dans sa vigne
Un vigneron sans bouche au fond de l’horizon
Un vigneron qui était lui-même la bouteille vivante
Un vigneron qui sait ce qu’est la guerre
Un vigneron champenois qui est un artilleur
 
C’est maintenant le soir et l’on joue à la mouche
Puis les soldats s’en iront là-haut
Où l’artillerie débouche ses bouteilles crémantes
Allons Adieu messieurs tâchez de revenir
Mais nul ne sait ce qui peut advenir
 
Carte postale
 
Je t’écris de dessous la tente
Tandis que meurt ce jour d’été
Où floraison éblouissante
Dans le ciel à peine bleuté
Une canonnade éclatante
Se fane avant d’avoir été
 
Un oiseau chante
 
Un oiseau chante ne sais où
C’est je crois ton âme qui veille
Parmi tous les soldats d’un sou
Et l’oiseau charme mon oreille
 
Ecoute il chante tendrement
Je ne sais pas sur quelle branche
Et partout il va me charmant
Nuit et jour semaine et dimanche
 
Mais que dire de cet oiseau
Que dire des métamorphoses
De l’âme en chant dans l’arbrisseau
Du cœur en ciel du ciel en roses
 
L’oiseau des soldats c’est l’amour
Et mon amour c’est une fille
La rose est moins parfaite et pour
Moi seul l’oiseau bleu s’égosille
 
Oiseau bleu comme le cœur bleu
De mon amour au cœur céleste
Ton chant si doux répète-le
A la mitrailleuse funeste
 
Qui claque à l’horizon et puis
Sont-ce les astres que l’on sème
Ainsi vont les jours et les nuits
Amour bleu comme est le cœur même
 
Chevaux de frise
 
Pendant le blanc et nocturne novembre
Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie
Vieillissaient encore sous la neige
Et semblaient à peine des chevaux de frise
Entourés de vagues de fils de fer
Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps
Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent
Les fleurs de l’amour
 
Pendant le blanc et nocturne novembre
Tandis que chantaient épouvantablement les obus
Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient
Leurs mortelles odeurs
Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine
La neige met de pâles fleurs sur les arbres
Et toisonne d’hermine les chevaux de frise
Que l’on voit partout
Abandonnés et sinistres
Chevaux muets
Nos chevaux barbes mais barbelés
Et je les anime tout soudain
En troupeau de jolis chevaux pies
Qui vont vers toi comme de blanches vagues
Sur la Méditerranée
Et t’apportent mon amour
Roselys ô panthère ô colombes étoile bleue
Ô Madeleine
Je t’aime avec délices
Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches
Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent
Si je songe à tes seins le Paraclet descend
O double colombe de ta poitrine
Et vient délier ma langue de poète
Pour te redire
Je t’aime
Ton visage est un bouquet de fleurs
Aujourd’hui je te vois non Panthère
Mais Toutefleur
Et je te respire ô ma Toutefleur
Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse
Et ces chants qui s’envolent vers toi
M’emportent à ton côté
Dans ton bel Orient où les lys
Se changent en palmiers qui de leurs belles mains
Me font signe de venir
La fusée s’épanouit fleur nocturne
Quand il fait noir
Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses
De larmes heureuses que la joie fait couler
Et je t’aime comme tu m’aimes
Madeleine
 
Chant de l’honneur
 
Le Poète
 
Je me souviens ce soir de ce drame indien
Le Chariot d’Enfant un voleur y survient
Qui pense avant de faire un trou dans la muraille
Quelle forme il convient de donner à l’entaille
Afin que la beauté ne perde pas ses droits
Même au moment d’un crime
Et nous aurions je crois
A l’instant de périr nous poètes nous hommes
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes
 
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté
N’est la plupart du temps que la simplicité
Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée
Etaient restés debout et la tête penchée
S’appuyant simplement contre le parapet
 
J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait
Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes
Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes
 
Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit
Dans les éboulements et la boue et le froid
Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture
Anxieux nous gardons la route de Tahure
 
J’ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir
Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure
O mes soldats souffrants ô blessés à mourir
Cette nuit est si belle où la balle roucoule
Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule
Parfois une fusée illumine la nuit
C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit
La terre se lamente et comme une marée
Monte le flot chantant dans mon abri de craie
Séjour de l’insomnie incertaine maison
De l’Alerte la Mort et la Démangeaison
 
La Tranchée
 
O jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse
Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort
Tapie au fond du sol je vous guette jalouse
Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord
 
Les Balles
 
De nos ruches d’acier sortons à tire-d’aile
Abeilles le butin qui sanglant emmielle
Les doux rayons d’un jour qui toujours renouvelle
Provient de ce jardin exquis l’humanité
Aux fleurs d’intelligence à parfum de beauté
 
Le Poète
 
Le Christ n’est donc venu qu’en vain parmi les hommes
Si des fleuves de sang limitent les royaumes
Et même de l’Amour on sait la cruauté
C’est pourquoi faut au moins penser à la Beauté
Seule chose ici-bas qui jamais n’est mauvaise
Elle porte cent noms dans la langue française
Grâce Vertu Courage Honneur et ce n’est là
Que la même Beauté
 
La France
 
Poète honore-la
Souci de la Beauté non souci de la Gloire
Mais la Perfection n’est-ce pas la Victoire
 
Le Poète
 
O poètes des temps à venir ô chanteurs
Je chante la beauté de toutes nos douleurs
J’en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux
Donner un sens sublime aux gestes glorieux
Et fixer la grandeur de ces trépas pieux
 
L’un qui détend son corps en jetant des grenades
L’autre ardent à tirer nourrit les fusillades
L’autre les bras ballants porte des seaux de vin
Et le prêtre-soldat dit le secret divin
 
J’interprète pour tous la douceur des trois notes
Que lance un loriot canon quand tu sanglotes
 
Qui dons saura jamais que de fois j’ai pleuré
Ma génération sur son trépas sacré
 
Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude
Chantez ce que je chante un chant pur le prélude
Des chants sacrés que la beauté de notre temps
Saura vous inspirer plus purs plus éclatants
Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir
En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir
 
Chef de section
 
Ma bouche aura des ardeurs de géhenne
Ma bouche te fera un enfer de douceur et de séduction
Les anges de ma bouche trôneront dans ton cœur
Les soldats de ma bouche te prendront d’assaut
Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté
Ton âme s’agitera comme une région pendant un tremblement de terre
Tes yeux seront alors chargés de tout l’amour qui s’est amassé
Dans les regards de l’humanité depuis qu’elle existe
Ma bouche sera une armée contre toi une armée pleine de disparates
Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses
L’orchestre et les chœurs de ma bouche te diront mon amour
Elle te le murmure de loin
Tandis que les yeux fixés sur la montre j’attends la minute prescrite pour l’assaut
 
La jolie rousse
 
Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour
Ayant su quelques fois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte
Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir
Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention
De l’Ordre et de l’Aventure
 
Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité
 
Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l’illimité et de l’avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
 
Voici que vient l’été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
O soleil c’est le temps de la Raison ardente
Et j’attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu’elle prend afin que je l’aime seulement
Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant
Elle a l’aspect charmant
D’une adorable rousse
 
Ses cheveux sont d’or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent
 
Mais riez riez de moi
Hommes de partout surtout gens d’ici
Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi